Le combat des footballeuses afghanes en exil pour retrouver leur terrain

Les footballeuses afghanes luttent en exil pour jouer et faire reconnaître leur équipe malgré l'interdiction talibane.

Afghanistan, États-Unis, Australie

Les footballeuses afghanes en exil continuent de se battre pour retrouver leur terrain de jeu et faire reconnaître leur équipe, dans un contexte où les droits des femmes sont sévèrement restreints par les talibans.

Une carrière interrompue par le retour des talibans

En juin 2021, Fatima Foladi était une étoile montante du foot féminin en Afghanistan, notamment grâce à un but marqué contre le Tadjikistan lors d’un match international des moins de 17 ans. Deux mois plus tard, le retour des talibans au pouvoir bouleversait sa vie et celle de ses coéquipières.

La répression des droits des femmes sous ce régime a drastiquement limité les libertés fondamentales, notamment en interdisant aux adolescentes l’accès à l’éducation, une situation qualifiée de « apartheid de genre » par les Nations unies.

Fatima, alors âgée de 16 ans, a pu fuir en montrant ses credentials sportifs à l’aéroport international de Kaboul, où l’armée américaine l’a aidée à embarquer pour les États-Unis. Plus de 75 personnes liées à l’équipe féminine senior — joueuses, responsables et familles — ont également trouvé refuge en Australie, grâce notamment à l’aide de la FIFPro, le syndicat international des joueurs, tandis que d’autres ont rejoint l’Europe.

Fatima Foladi célèbre un but pour l'équipe des moins de 17 ans d'Afghanistan

Une équipe féminine sans reconnaissance ni compétition

Le football féminin en Afghanistan est aujourd’hui interdit. La Fédération afghane de football (AFF), contrôlée par les talibans, refuse de reconnaître ses équipes féminines. En conséquence, les sélections féminines nationales n’ont pas disputé de match officiel depuis 2018.

Sans reconnaissance officielle, l’Afghanistan, pays de plus de 40 millions d’habitants, a disparu du classement mondial féminin FIFA qui compte pourtant 196 équipes. Le pays est aussi exclu des qualifications pour la Coupe d’Asie féminine de l’AFC 2026, étape cruciale pour accéder à la Coupe du Monde féminine au Brésil en 2027.

Face à cette situation, les joueuses et leurs soutiens militent pour que la FIFA reconnaisse formellement leur équipe afin qu’elles puissent représenter leur pays malgré l’exil et les obstacles.

Des joueuses afghanes en exil, symbole d’espoir et de résistance

Nilab Mohammadi, ancienne capitaine de l’équipe afghane, a rejoint en mars dernier le club de Skye United à Melbourne, en Australie. Après avoir fui son pays, elle évolue aujourd’hui au sein de Melbourne Victory FC AWT (Afghanistan Women’s Team), une équipe formée par des réfugiées afghanes évoluant dans la septième division australienne.

Mohammadi insiste sur la portée symbolique de leur combat : « L’équipe féminine afghane représente la victoire, la paix et l’espoir pour toutes les femmes afghanes à travers le monde. Nous ne cesserons jamais de lutter pour pouvoir jouer à nouveau. Le football féminin est un combat pour la liberté et le respect. »

Nilab Mohammadi, capitaine de Melbourne Victory FC AWT

Avant la prise de pouvoir des talibans, Nilab était militaire dans l’armée afghane et diplômée en sciences politiques, des droits aujourd’hui interdits aux femmes dans son pays. Arrivée en Australie, elle poursuit ses études d’anglais tout en continuant sa carrière footballistique, avec l’ambition de réintégrer les forces armées.

Entre études et football, un avenir réinventé aux États-Unis

Fatima Foladi, installée initialement à Boston puis désormais étudiante en aéronautique à l’Université du Michigan, bénéficie aussi de conditions qu’elle ne pouvait imaginer en Afghanistan. « Devenir ingénieure a toujours été mon rêve, explique-t-elle. Chez nous, on nous recommande de faire plus « simple ». Le fait que l’on me dise que c’est impossible me motive à prouver le contraire. »

Si elle exprime sa gratitude pour les opportunités aux États-Unis, l’exil reste douloureux : « J’ai laissé une part de moi là-bas, mes coéquipières, ma famille. Tout ce que j’ai connu jusqu’à mes 15 ans. Ce fut déchirant. »

Fatima Foladi, équipe afghane réfugiée lors d’un tournoi à Boston

Khalida Popal : militante pour les droits des femmes et du sport afghan

Khalida Popal, pionnière du football féminin en Afghanistan et première femme salariée à la Fédération afghane, a fui le pays en 2011 après avoir reçu des menaces de mort. Aujourd’hui réfugiée au Danemark, elle continue d’agir pour que les joueuses afghanes puissent se faire entendre à travers le football.

« Le football est une plateforme pour représenter nos sœurs. Malgré leurs traumatismes, elles ne cessent de défendre leurs droits. Nous avons la responsabilité de faire preuve d’adversité avec fierté et d’inspirer les femmes opprimées partout dans le monde. »

Khalida Popal, militante pour les footballeuses afghanes

Popal reste prudente quant à un retour sur la scène internationale : la sécurité des joueuses est primordiale, étant donné le risque de représailles. Elle souligne aussi l’importance du suivi psychologique de ces femmes traumatisées.

En mars, à la suite d’un rapport de la coalition Sports and Rights Alliance, la FIFA s’est engagée à promouvoir le bien-être des femmes et filles afghanes et a promis un soutien pour celles hors du pays via la diplomatie et l’engagement avec les acteurs concernés.

Une mobilisation internationale en suspens

Khalida Popal se réjouit de l’écoute enfin portée aux joueuses par la FIFA, qui affirme avoir aidé à évacuer environ 160 personnes depuis l’Afghanistan en octobre 2021, majoritairement des femmes et enfants, dont des joueuses. Cependant, la reconnaissance officielle des équipes féminines afghanes par la FIFA reste en attente, tout comme une éventuelle allocation de fonds dédiés.

Nilab Mohammadi dénonce cette absence de reconnaissance : « C’est une énorme déception, mais nous ne renoncerons jamais, nous continuerons à nous battre et à faire entendre notre voix. » Elle rapporte une pétition en ligne réclamant cette reconnaissance, qui avait recueilli plus de 185 000 signatures.

Joueuses afghanes en Australie continuent de représenter leur pays

Selon Fatima Foladi, « le football doit placer l’humanité au-dessus de la politique afin de permettre à tous de se réunir malgré les origines. Nos voix comptent, notre résistance compte. Nous sommes plus fortes que ce que l’on imagine. Le jour où nous jouerons à nouveau sera un symbole de résistance pour toutes les filles et femmes du pays. »

Le sport féminin afghan face aux discriminations plus larges

Le football n’est pas le seul sport concerné : la situation concerne aussi le cricket féminin. Malgré l’interdiction des équipes féminines, l’Afghanistan reste l’un des 12 membres à part entière de l’ICC, la fédération internationale de cricket. L’équipe masculine continue d’évoluer sur la scène internationale avec des performances remarquables, mais la pression pour une reconnaissance du cricket féminin afghan est grandissante.

En réponse, l’ICC a créé une task force dédiée à l’aide financière et à la formation pour les joueuses afghanes déplacées, avec un programme de haute performance et un fonds spécifique.

Joueuses déplacées de l'équipe féminine de cricket afghane en Australie

Les défis d’intégration des sportives afghanes réfugiées

Khalida Popal, après une blessure mettant fin à sa carrière, a fondé « Girl Power », une organisation visant à promouvoir l’intégration des sportives réfugiées à travers le sport, vecteur d’empowerment et de lien social. Elle pointe du doigt le manque de soutien et les discriminations structurelles : « Certaines réfugiées se voient retirer les aides financières dès qu’elles pratiquent le football, jugé non prioritaire. Le système sportif peine à offrir des perspectives à ces athlètes migrant récemment et surtout issues de pays musulmans ou du Moyen-Orient. Où sont les passerelles pour elles ? »

Un combat pour la liberté et la reconnaissance continue

Fatima Foladi et Nilab Mohammadi ont pu poursuivre leurs études et leur carrière sportive en exil, loin de la répression directe des talibans. Mais elles restent profondément attachées à leur pays, à leurs proches laissés derrière, et conscientes des difficultés que rencontrent leurs compatriotes restées en Afghanistan.

Nilab Mohammadi garde de bons souvenirs de sa sélection nationale

Khalida Popal rappelle l’importance de reconnaître cette chance : « Ce privilège est un pouvoir : avec ma liberté, j’ai la voix pour défendre celles qui en sont privées. »

Mohammadi assure aux femmes restées au pays qu’elles ne sont pas seules : « Nous, Afghans dispersés, ne laisserons jamais leur voix s’éteindre. Nous nous battrons pour elles. »

Pour Fatima Foladi, malgré ces « temps les plus sombres » pour les femmes afghanes, leur douleur se transformera en force et le jour où l’équipe féminine d’Afghanistan rejouera ensemble sera un symbole puissant d’émancipation.

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source:https://www.nytimes.com/athletic/6286433/2025/05/05/taliban-afghanistan-women-football-team/

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