Des ultra-traileurs participant à l’UTMB servent désormais de cobayes pour une recherche ambitieuse sur le sommeil. L’objectif est clair: comprendre comment le manque de repos influence l’endurance et la prise de décision, et transposer ces enseignements à d’autres situations où la fatigue peut mettre en jeu la sécurité et la performance.

Au cœur du camp de ravitaillement de Champex-Lac (Suisse), à environ 128 kilomètres du départ de l’UTMB, une trentaine de volontaires s’affrontent à des tests de réaction pendant trois minutes, devant de petits ordinateurs affichant un rond rouge. Sur les 2 492 partants, 60 traileurs ont accepté de subir un suivi cognitif tout au long d’un parcours de 175,3 kilomètres (9 985 mètres de dénivelé positif) qui traverse la France, la Suisse et l’Italie. Le protocole prévoit un test une fois trois heures avant le départ, puis à différentes étapes du tracé – après 82, 128, 145 et 168 kilomètres – tout en portant un tracker de sommeil au poignet.

Cette initiative est portée par l’équipe de Rémy Hurdiel, chercheur spécialiste du sommeil dans des contextes d’ultra-endurance (trail, cyclisme, voile…), et de son équivalent britannique, Charlotte Edelsten. Leur étude porte sur l’effet des siestes sur les performances cognitives des coureurs d’ultra-trails dépassant les 160 kilomètres. L’objectif est d’accumuler des données et, à terme, de modéliser des prédictions qui puissent éclairer les choix d’entraînement et de récupération.
Des objectifs QAction et des perspectives pour d’autres métiers
Les chercheurs soulignent que la fatigue n’est pas uniquement une problématique sportive: « nous cherchons à cerner les limites humaines, à évaluer la fatigue et à repérer les points de non-retour », résume Rémy Hurdiel. Si ces résultats s’appliquent bien sûr à l’ultra-trail, ils pourraient aussi nourrir des protocoles pour les ouvriers travaillant par shifts, les personnels soignants ou les pompiers. « À partir d’un algorithme, nous aimerions même bâtir un seuil d’alerte pour déclencher le repos nécessaire », précise-t-il.
Depuis 2007, la science s’invite dans l’UTMB
Depuis près de vingt ans, les organisateurs de l’UTMB laissent place à la recherche scientifique. Une cinquantaine d’études françaises et internationales ont été menées sur des sujets allant de la nutrition et de la cardiologie à la santé féminine et aux blessures. « Nous sélectionnons des recherches qui peuvent donner une réponse concrète à un problème de terrain et qui servent directement les coureurs », explique Laurence Poletti, coordinatrice médicale de l’UTMB.
Alors que se tient la « team dodo » au rendez-vous des volontaires, un autre groupe travaille sur une étude franco-américaine examinant l’exposition des ultra-traileurs aux UV. Parallèlement, Rémy Hurdiel poursuit l’observation du sommeil des participants de l’UTMB depuis 2013, en testant divers aspects. Cette année, la notion de plaisir a été intégrée dans l’expérimentation. Douze ans plus tard, « ils restent toujours autant fatigués à l’arrivée », note Edelsten. « Tout a progressé — nutrition, entraînement, matériel — mais le sommeil demeure un vaste terrain à explorer », résume-t-elle.
Apprendre à s’endormir rapidement, une compétence qui s’acquiert
Les chercheurs rappellent que la privation de sommeil altère la prise de décision: face au froid, à l’hydratation ou à l’alimentation, les coureurs peuvent manquer d’énergie et d’attention. « C’est normal d’être fatigué, mais les hallucinations ne doivent pas devenir la norme », souligne Edelsten. Pour sortir de l’espoir empirique, l’équipe a organisé une masterclass à Chamonix pendant un week-end, en mai, à destination de 23 ultra-traileurs et avec un intérêt massif des candidatures. Des apprenants expliquent avoir compris qu’excéder la fatigue et négliger les siestes peut s’avérer contre-productif.
Une participante, Marthe Ducret, 36 ans, témoigne de son expérience: pendant les 42 heures de course, elle a dormi quelques minutes puis une vingtaine de minutes à deux reprises, une petite victoire pour celle qui avait envisagé l’UTMB sans dormir. À l’arrivée, Anna Kirkman, autre participante, loue elle aussi les bénéfices des siestes: « à Champex-Lac, j’étais irritée; j’ai finalement dormi deux fois vingt minutes sur quatre pauses et j’étais ensuite comme une pile ». Ces échanges illustrent le potentiel des siestes ciblées pour recharger le cerveau et réduire la fatigue mentale sur le parcours.
Une éducation du sommeil en perspective
Rémy Hurdiel et Charlotte Edelsten continuent de dispenser des conseils en parcours et souhaitent faire sortir leurs enseignements des laboratoires pour aider les traileurs à mieux gérer leurs stratégies de sommeil. « Notre conviction est que savoir s’endormir vite, ne serait-ce que pour quelques minutes, s’apprend », affirme Hurdiel. Si le volet pédagogique n’est pas intégré à l’étude principale, les chercheurs suivront les performances des volontaires formés pour évaluer les bienfaits concrets de leur formation. « Nous sommes dans une phase pilote; l’objectif est de bâtir un projet de formation où les données servent directement les traileurs », conclut l’équipe.
Cette démarche ne vise pas seulement l’amélioration des performances: elle cherche à établir des méthodes fiables qui pourraient, demain, contribuer à la sécurité et au bien-être des sportifs, et potentiellement à d’autres métiers confrontés à des périodes de privation de sommeil.
En bref, UTMB demeure un terrain d’expérimentation unique where science and endurance converge: les données issues de ces tests sur le sommeil et les siestes pourraient bien écrire les prochaines pages de la performance et de la sécurité dans l’ultra-trail et au-delà.









