Dans une région où l’industrie moderne menace l’artisanat traditionnel, un tailleur saoudien résiste à la production de masse en perpétuant l’art ancestral du bisht, ce manteau emblématique des pays du Golfe, richement brodé à la main.
Un savoir-faire transmis de génération en génération
À Hofuf, dans l’est de l’Arabie saoudite, Habib Mohammed, tailleur âgé de 60 ans, s’active chaque jour dans son atelier modeste, mais chargé d’histoire, à la fabrication minutieuse du bisht. Cette pièce traditionnelle portée par les hommes lors d’événements importants peut nécessiter plusieurs semaines d’un travail délicat. Confronté à la concurrence des vêtements bon marché importés de Chine, il refuse néanmoins de sacrifier la qualité et le prestige de son artisanat.
Face au désintérêt de son fils unique pour la reprise de l’activité, Habib a choisi de transmettre sa passion et son savoir-faire à ses petits-enfants. « Nous avons commencé la formation ici, dans l’atelier et à la maison », explique-t-il dans son lieu de travail situé dans l’oasis de Hofuf.
Un héritage culturel et social profondément enraciné
Le bisht est bien plus qu’un vêtement dans la région d’Al-Ahsa. Habib raconte qu’il était impensable pour un homme d’assister à un enterrement ou d’aller au marché sans porter ce manteau traditionnel. Cette pièce symbolique a même touché un public mondial lors de la Coupe du monde 2022 au Qatar, lorsque l’émir qatari a posé un bisht sur les épaules de Lionel Messi après la finale.
Une équipe familiale passionnée
Dans l’atelier, Habib partage son temps avec ses petits-enfants, Fajr, 9 ans, et Ghassan, 10 ans, qu’il forme pour assurer la continuité de cette tradition. « C’est toute ma vie », confie-t-il en observant les enfants broder avec soin et précision. Vivant depuis toujours au milieu des bishts, il a « grandi en regardant [sa] mère coudre » et a vu son père et ses frères perpétuer cet art.
Sa femme, couturière talentueuse, achève souvent les broderies des cols des bishts. Malgré leur ensemble familial, les revenus ont considérablement diminué au fil des années, une réalité difficile à accepter pour Habib.
Les défis économiques d’un artisanat en péril
« Les pièces que je faisais pour environ 400 euros se vendent maintenant autour de 40 euros, ce qui ne suffit pas pour vivre », déplore Habib. Autrefois, un bisht de qualité pouvait atteindre une valeur de 1 600 euros, tandis que les modèles produits industriellement sont proposés à une fraction de ce prix.
Cette concurrence massive oblige l’atelier familial à lutter pour survivre dans un marché saturé.
L’artisanat mis à l’honneur par le royaume
L’Arabie saoudite, consciente de la richesse de son patrimoine, valorise désormais le travail manuel traditionnel dans le cadre de l’année de l’artisanat lancée en 2025. Le bisht, objet d’un projet d’inscription au patrimoine immatériel de l’UNESCO, fait partie des dizaines de métiers traditionnels mis en avant par les autorités.
Les responsables saoudiens ont encouragé, l’an dernier, le port du bisht lors des cérémonies officielles, témoignant d’un nouvel élan pour sauvegarder cette identité culturelle.
Un héritage précieux à préserver
Sur les murs de son atelier, Habib expose des bishts datant d’un siècle, dont un manteau en laine de mouton qu’il conserve précieusement malgré une offre de rachat de près de 50 000 euros. « Il est aussi cher que ma vie, car il représente l’histoire de mon pays », confie-t-il avec émotion.
Ce passionné rêve de transmettre ces trésors à ses enfants et petits-enfants, avec un seul mot d’ordre : ne jamais les vendre. Chaque semaine, il partage son savoir en enseignant la couture à des jeunes dans un institut voisin. « Nous n’avons pas abandonné. Ce patrimoine était en train de disparaître, mais nous le ferons revivre », assure-t-il avec détermination.














