Le 28 août 2024, lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux paralympiques, Tony Estanguet promettait une véritable « révolution paralympiques ». Un an plus tard, que peut-on en dire sur l’accessibilité et l’inclusion du sport pour les personnes en situation de handicap à travers ces Jeux? Le décryptage propose d’explorer les avancées, mais aussi les freins persistants.
Une dynamique d’inclusion encore fragile mais en mouvement
En France, près de 12 millions de personnes en situation de handicap se heurtent encore à de nombreux obstacles pour pratiquer une activité physique: coût du matériel, accessibilité des infrastructures, et une peur parfois irrationnelle d’exposer son corps. Le contraste avec la population générale, qui affiche un taux de pratique sportive plus élevé, illustre les marges importantes à combler pour une pratique véritablement universelle.
2 500 clubs inclusifs: une formation qui s’étend sur le terrain
La formation et la sensibilisation des acteurs locaux apparaissent comme des leviers clés pour ouvrir les portes du sport à tous. Depuis plus de deux ans, le Comité paralympique et sportif français (CPSF) a lancé l’initiative « Club Inclusif », visant à former les encadrants des associations sportives à l’accueil des personnes en situation de handicap. Selon l’Insee, en 2009 à peine 1,4 % des clubs se déclaraient capables d’accueillir ce public. L’objectif fixé d’ici la fin de l’année est d’atteindre 2 500 structures formées.
Sur des sessions de trois jours financées par le CPSF et les collectivités locales, les participants bénéficient d’apports théoriques et d’ateliers pratiques impliquant des personnes en situation de handicap. Pour Sophie Luquet, présidente de l’association Anima’thèque, cette démarche commence à changer le regard des pratiquants et des responsables: « on voit moins les personnes handicapées comme des curiosités et chacun semble plus à l’aise à leur contact ». Le tutorat s’étend ainsi du simple encadrement à une véritable culture d’accueil.
Le cécifoot: l’émergence d’un nouveau vivier et d’un public engagé
La médiatisation des Jeux a rendu visible le sport adapté à d’autres publics. En effet, selon une étude de l’ARCOM, 75 % des Français estiment que l’événement a modifié leur regard sur le handicap, en partie grâce à une diffusion en direct de l’intégralité des épreuves par France Télévisions. Néanmoins, un an après, l’offre télévisuelle spécialisée reste limitée et 59 % des téléspectateurs souhaitent davantage d’émissions et de documents sur les parasports. L’épisode le plus fort pour l’audience a été la finale de cécifoot entre la France et l’Argentine, disputée au pied de la tour Eiffel, qui a réuni 5,3 millions de téléspectateurs.
Cette émergence médiatique a aussi stimulé les initiatives locales. Rémi Garranger, responsable du développement des sports pour déficients visuels à la FFH, rappelle l’afflux de demandes observé chez les clubs: « on a des potentielles créations de sections ici et là ». Actuellement, le championnat de France de cécifoot compte 17 clubs, et la perspective d’une extension — avec des villes comme Schiltigheim qui accueilleront les Européens 2026 — laisse entrevoir une dynamique de croissance significative.
Les femmes: un plafond encore tenace
La parité demeure un enjeu majeur. À Paris, seulement 35 % de la délégation paralympique française était féminine. Si Amélie Oudéa-Castéra avait annoncé la parité pour Los Angeles 2028, Marie-Amélie Le Fur souligne que l’objectif reste ambitieux: « cela sera extrêmement difficile ». Les freins pour les femmes et les jeunes filles se révèlent plus importants lorsque l’on envisage le sport de haut niveau, et un premier séminaire est intervenu au printemps pour faire évoluer les mentalités. Malgré ces difficultés, les Jeux de Paris 2024 ont été, pour Marie-Amélie Le Fur, un catalyseur véritable, avec un mouvement qui, même s’il est encore hétérogène selon les territoires et les handicaps, est bel et bien en marche.

Des moyens à la hauteur des ambitions: un désengagement financier et des défis structurels
Le déploiement médiatique et l’éclat des Jeux ont laissé place à une réalité plus contrastée: le financement des sportifs de haut niveau connaît des baisses et les partenaires se raréfient une fois la fête passée. Antoine Praud, médaillé de bronze sur 1 500 mètres (catégorie T46), déplore « ces équipes qui s’évanouissent après les Jeux ». Même s’il bénéficie d’une prime de médaille, les dépenses liées aux déplacements et à la préparation restent lourdes, et l’accès au logement est une composante non négligeable des coûts.
Sur le plan budgétaire, le gouvernement a annoncé une réduction des crédits destinés au sport, estimée à environ 18 %. Si cette tendance se confirme à l’automne, les effets sur les athlètes d’élite pourraient être considérables. Le CPSF rappelle qu’en août 2025, 125 athlètes bénéficiaient d’un soutien par l’Agence nationale du sport (ANS), avec un revenu annuel minimum de 40 000 euros pour les sportifs « haute performance ». Or ce montant reste insuffisant face aux besoins en matière d’équipements, de fauteuils spécifiques ou de lames de course, sans parler de l’accompagnement nécessaire pour les athlètes non ou malvoyants.
L’armée demeure l’un des principaux partenaires des sportifs d’élite via l’« Armée de champions ». Mais même ce soutien a été ébranlé par les réductions post-Jeux. Benjamin Daviet, multiple champion paralympique et finaliste en para-aviron à Paris, rappelle son appui financier essentiel, tout en dénonçant le décalage entre les ambitions et les moyens alloués: « on veut des champions, mais les moyens ne suivent pas ». Alors que la préparation pour les prochains rendez-vous, dont Milan-Cortina 2026, se poursuit, le constat demeure: sans moyens suffisants à côté des performances, le chemin reste ardu pour maintenir le niveau et attirer de nouveaux talents.
(Source incrémentale: Injep, octobre 2024, sur la pratique sportive des personnes en situation de handicap.)
En somme, si Paris 2024 a donné une visibilité sans précédent et a permis des avancées concrètes, l’inclusion sportive reste tributaire d’un engagement soutenu des acteurs publics et privés, et d’une amélioration continue des ressources dédiées. Le chemin vers une pratique vraiment universelle est encore long et complexe, mais les signaux d’un mouvement durable se multiplient, portés par les clubs, les fédérations et les initiatives citoyennes qui veulent transformer l’engouement des Jeux en perspectives durables pour tous les pratiquants.









