Tests de féminité aux Mondiaux d’athlétisme : controverse et enjeux

Les tests de féminité imposés aux athlètes féminines lors des Mondiaux d’athlétisme à Tokyo suscitent controverse et débats éthiques.

Japon

Les Mondiaux d’athlétisme de Tokyo se déroulent dans un contexte marqué par une controverse éthique et juridique autour d’un dispositif destiné à vérifier la féminité des athlètes concourant dans les épreuves féminines comptant pour le classement mondial. En juillet, World Athletics a instauré une nouvelle règle exigeant un test génétique pour les concurrentes souhaitant s’aligner dans ces catégories. Ce test, conçu pour être passé une seule fois dans la vie, se fait par prélèvement salivaire ou sanguin et vise à détecter le gène SRY, lié au développement des caractéristiques masculines. Or, en France, cette démarche est jugée illégale, et aucune Athlète française n’avait pu le passer avant le 1er septembre, date butoir initialement fixée par l’organisme international.

Un dispositif géré à Tokyo et contesté par la France

Selon la Fédération française d’athlétisme (FFA), les athlètes françaises trouvées sur les listes des Mondiaux ont bien dû se soumettre au nouveau test imposé par World Athletics avant le début de la compétition. « C’est World Athletics qui gère les prélèvements et les tests. On leur a confié la réalisation de tout cela », a déclaré le directeur technique national (DTN), Frank Bignet, indiquant que certaines athlètes devaient effectuer le test en amont du premier jour de compétition.

La situation a aussi pris une signification particulière à la lumière de l’expérience des boxeuses françaises présentes au Mondiaux. Cinq boxeuses ont été privées du championnat car les résultats de leurs tests de féminité — exigés par World Boxing, l’organisme international de leur discipline — n’étaient pas parvenus à temps. Pour le DTN, cette perspective a alimenté l souhait d’éviter une répétition de ce scénario chez les athlètes d’athlétisme, même si les exigences n’étaient pas identiques pour l’ensemble des disciplines.

Réactions des athlètes et impression de malaise

Plusieurs sportives ont exprimé un sentiment d’inconfort face à ce dispositif. « Je suis un peu mal à l’aise de devoir prouver ma féminité. Je ne comprends pas pourquoi on doit passer par là », a confié Hilary Kpatcha, lanceuse de longueur. Pour Marie-Julie Bonnin, perchiste, l’utilité même du test reste questionnée: « Je ne suis pas convaincue par son intérêt ». Le sujet a aussi trouvé écho chez Rénelle Lamote, spécialiste du 800 mètres, qui a reconnu éprouver un certain malaise à être soumise à un tel dépistage, tout en disant comprendre que cela puisse rappeler des parcours difficiles vécus par d’autres athlètes, comme Semenya.

Rénelle Lamote évoque également le contexte historique du débat autour de la féminité et du sport, rappelant les exemples médiatisés de l’athlète sud-africaine Caster Semenya, interdite de compétition à certains moments en raison de traitements destinés à réduire son taux de testostérone. Cette comparaison souligne les répercussions humaines et psychologiques que peut avoir une telle procédure.

Entre science et polémique: ce que disent les experts

World Athletics affirme que le test « permet de déterminer de façon fiable le sexe biologique ». Cependant, une partie de la communauté scientifique met en garde contre une interprétation trop simpliste des résultats. Le dépistage chromosomique, réintroduit dans certains sports après une pause, est controversé et soumis à des limites techniques et éthiques. Andrew Sinclair, scientifique australien qui a découvert le gène SRY en 1990, souligne que la détermination du sexe biologique est un enjeu complexe, impliquant à la fois les aspects chromosomaux, gonadiques, hormonaux et sexuels secondaires. Il rappelle qu’il existe des personnes considérées biologiquement comme des femmes malgré des chromosomes XY, ce qui rend le dépistage réducteur et potentiellement injuste.

La critique s’étend même au-delà des considérations techniques. Malaika Mihambo, championne olympique du saut en longueur, juge le dispositif « juridiquement discutable, éthiquement délicat et scientifiquement réducteur ». Face à ces réserves, les défenseurs du dispositif soutiennent qu’il s’agit d’un outil nécessaire pour préserver ce que World Athletics appelle le « sport féminin » et pour assurer l’intégrité des compétitions.

Enjeux et regard sur l’avenir

Le débat autour des tests de féminité demeure au cœur des discussions dans le monde de l’athlétisme et d’autres disciplines mêlées à des questions d’identité et d’équité. Pour les athlètes et les scientifiques, la question n’est pas seulement technique: elle touche à la justice, à la dignité et à la manière dont le sport peut concilier participation et exigences biologiques supposées. Si World Athletics soutient que le test peut offrir une évaluation fiable, les voix critiques rappellent que la science actuelle ne se résume pas à une réponse simple et que les conséquences humaines peuvent être lourdes.

Dans ce contexte, les Mondiaux d’athlétisme à Tokyo deviennent un terrain d’observation important sur la manière dont le monde sportif aborde les questions de féminité, d’identité et d’éthique face à des outils biomédicaux toujours plus intrusifs. L’équilibre entre protection du sport et respect des athlètes reste à trouver, alors que les débats publics et académiques continuent de nourrir les réflexions sur l’avenir des compétitions internationales.

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