Une domination qui suscite autant d’admiration que de malaise
Alors que Tadej Pogačar continue de dominer le Tour de France avec une aisance déconcertante, le sentiment d’un certain ennui s’installe dans le monde du cyclisme. À seulement 26 ans, le Slovène pourrait revêtir pour la quatrième fois le maillot jaune lors de la dernière étape sur les Champs-Élysées, ce qui ne manque pas d’interroger sur l’intérêt d’un suspense réduit à sa plus simple expression. L’ancien coureur Thomas Voeckler, dans les colonnes de Sud-Ouest, n’a pas masqué son désenchantement : « Pogačar ne m’a pas plus impressionné cette année qu’en 2024… Il essaie de faire croire qu’il y a du suspense, mais ça risque d’être ennuyeux. »
Ce sentiment de frustration face à une domination sans partage n’est pas sans rappeler la situation dans le football français, notamment avec le PSG. La victoire écrasante du club parisien en Ligue 1, qui semble presque inévitable chaque saison, alimente aussi ce malaise. La question se pose alors : une victoire reste-t-elle véritablement appréciable si elle est attendue et sans surprise ?
Une histoire de la domination dans le sport
Ce phénomène n’est pas nouveau. Dans les années 2000, l’Olympique lyonnais de Jean-Michel Aulas enchaînait sept titres consécutifs en Ligue 1, tandis que Lance Armstrong s’imposait à plusieurs reprises sur le Tour de France. Cependant, ses exploits ont été ternis par la révélation de dopage, qui a finalement conduit au retrait de ses maillots jaunes. La crainte est donc que Pogačar, tout comme certains clubs ou athlètes, devienne une figure indigne de la légende, éclipsant l’esprit de compétition.
Le sport moderne repose sur des mythes, notamment celui d’une égalité des chances au départ. Pourtant, cette idée est souvent remise en question par les sociologues comme Pierre Bourdieu, qui soulignent que le véritable enjeu réside dans l’inégalité des résultats. Le sport, devenu un spectacle de masse, doit également ses succès à des histoires de victoire et de surprises, qui alimentent l’intérêt du public et la rentabilité de cette industrie.
Le rôle du hasard et la réalité des rapports de force
Le philosophe Roger Caillois, dès 1958, insistait sur l’importance du hasard dans la construction de la légende du champion : « L’aléa nie le travail, la patience, l’habileté ; il élimine la régularité et la qualification. » Selon lui, le hasard peut offrir au joueur chanceux une récompense bien plus grande que celle obtenue par la discipline ou l’entraînement. Pourtant, si le meilleur, le plus travailleur ou le mieux équipé a systématiquement raison, la magie du sport s’érode.
Le président de l’entreprise américaine John Textor, qui a connu une période de disgrâce, exprimait déjà ses inquiétudes : « Qui va s’intéresser au championnat de France si on sait déjà qui va gagner ? Tout le monde se bat pour la deuxième place, c’est toujours la même équipe qui l’emporte. » La perte de cette dimension démocratique, où chaque équipe ou athlète peut espérer la victoire, menace l’essence même du sport.
Dans le football français, certains observateurs, comme Pedro Delgado, évoquent même une « dictature » de Pogačar, qui pourrait faire perdre au sport sa dimension populaire et égalitaire. La France, cependant, continue de chérir ses valeurs d’équité, à travers ses petits clubs ou ses outsiders qui créent la surprise, comme Brest ou Kévin Vauquelin. Ces histoires, aussi éphémères soient-elles, nourrissent l’intérêt des fans et peuvent influencer la visibilité des championnats européens, tels que la Ligue 1 ou la Serie A.









