France
En temps normal, la réception de Marseille aurait tout pour enflammer la Meinau. Or, quatre groupes de supporters annoncent une grève totale des encouragements pendant toute la durée du match, limitant l’ambiance autour du RC Strasbourg alors que le club traverse une période sportive favorable.
Le RC Strasbourg a été relégué par le passé à l’extrémité du tableau, mais il occupe désormais une place dans la course à l’Europe. Septième de Ligue 1 l’an passé et engagé en Ligue Conférence, Strasbourg participe à son premier tournoi européen depuis vingt ans et privilégie un football attractif porté par des jeunes talents. Ce renouveau survient après le rachat du club en 2023 par BlueCo, un consortium américain également propriétaire de Chelsea, et alimente le débat sur une multipropriété qui divise une partie du public.
Les supporters dénoncent que le Racing est utilisé comme une réserve spéculative destinée à faire émerger des joueurs surpayés pour alimenter Chelsea, voire comme le « club satellite » de Chelsea au cœur d’un réseau BlueCo, selon les critiques exprimées dans un communiqué du 14 septembre.
Pour Luc Arrondel, économiste du sport, la multipropriété répond à trois logiques: horizontale, mondiale et verticale, Strasbourg se trouvant dans une configuration où Chelsea occupe le sommet. En Angleterre, la rentabilité est une exigence; en France, la solvabilité peut primer tant que l’actionnaire peut financer les besoins, ce qui favoriserait l’investissement via Strasbourg au profit de Chelsea.
Le mercato estival a été massif: 111 millions d’euros dépensés sur 18 recrues, dépassant largement les investissements des autres clubs, et seuls deux joueurs présents avant l’arrivée de BlueCo restent dans l’effectif, Ismaël Doukouré et Eduard Sobol, montrant une transformation rapide de l’effectif.
Les groupes de supporters n’ont pas été rassurés par ces chiffres et considèrent que l’écran statistique ne répond pas à leurs inquiétudes. L’annonce du transfert du capitaine Emanuel Emegha vers Chelsea, illustrée dans une vidéo le montrant en maillot des Blues, a enflammé les tensions autour du club.
Marc Keller, président du RC Strasbourg, a défendu l’intérêt de la multipropriété lors d’une conférence de presse et a évoqué des mesures visant les groupes contestataires, notamment l’interdiction d’accès au local du stade, le retour des billets nominatifs et une présence renforcée des stadiers dans le kop. Les supporters dénoncent ce qu’ils décrivent comme un arsenal répressif et appellent au dialogue, sans toutefois chanter contre Marseille.
Ce divorce entre direction et supporters ultras est d’autant plus profond que les deux camps avaient travaillé ensemble pendant douze ans. Les observateurs notent que l’arrivée de BlueCo remet en cause le modèle local et les liens tissés entre acteurs économiques et sportifs. Cette mutation s’inscrit dans une longue transformation du football qui avait conduit Strasbourg à la liquidation judiciaire en 2011.
La vente du Racing à un fonds américain est perçue comme problématique par les supporters, qui évoquent d’autres exemples en France, comme Bordeaux et Nancy, passés par des multipropriétés. Des propositions de loi visant à interdire la multipropriété ont émergé, tandis que certains appellent à une régulation internationale et estiment que l’UEFA et la FIFA doivent prendre le dossier en main.
À Strasbourg, le succès sportif accentue le fossé entre ceux qui voient dans la multipropriété une évolution naturelle et ceux qui craignent une perte d’identité. Certains considèrent que Marc Keller a pris une décision adaptée, d’autres redoutent la disparition du club tel qu’ils l’ont connu.
Le coach Liam Rosenior a tenté de rassembler les deux camps en appelant à l’unité avant le prochain match. Les supporters veulent le meilleur pour le club, les joueurs et les dirigeants y compris, et l’espoir d’un retour à la normale demeure, même si les débats sur l’identité et les principes subsistent.
Selon les spécialistes, l’enjeu est que les propriétaires dialoguent avec les supporters, car dans le football moderne, les seuls acteurs fidèles au club restent les supporters, tandis que joueurs et propriétaires peuvent évoluer.
