Comme prévu, il est arrivé vers 11 heures ce dimanche dans nos locaux, après la défaite de la veille contre le Stade Français (28-7) qu’il avait du mal à digérer. Après une séance photo, Matthieu Jalibert s’est longuement confié sur les derniers mois passés à l’Union Bordeaux-Bègles, sacrée en Coupe des champions en mai dernier, mais en difficulté depuis la reprise. L’ouvreur international (26 ans, 35 sélections) a évoqué son évolution, son travail défensif et sa relation contrastée avec l’équipe de France. Le Bordelais sait qu’il attire l’attention depuis le début de sa carrière et qu’il devra continuer d’avancer.
Le trois-quarts international (26 ans, 35 sélections) a évoqué l’évolution de son jeu, son travail défensif et sa relation contrastée avec l’équipe de France, dessinant un parcours marqué par la progression et la remise en question.
« Quel sentiment vous laisse ce début de saison inabouti et vos deux gros ratés au Racing et au Stade Français ? » Beaucoup de frustration et de déception. On travaille plutôt bien la semaine, sans relâchement, mais on n’arrive pas à tout mettre en place sur les matches à l’extérieur. Ce qui est un peu inquiétant, c’est ce manque d’engagement sur certaines périodes. À Paris, on a été pris quasiment dans tous les secteurs qui ne demandent aucun talent. C’est inadmissible. Une grosse remise en question est nécessaire.
« Que devez-vous modifier ? » C’est plutôt mental. On doit comprendre que les équipes veulent nous faire la peau. Si on veut accrocher des points à l’extérieur, on doit se réveiller. Après le match de samedi, il y a un sentiment de honte par rapport aux gens qui nous supportent. On doit augmenter notre niveau d’effort et de sacrifice, redescendre sur terre et revenir à ce qui fait la base du rugby.
« L’UBB n’a pas non plus été aidée par les blessures depuis cet été… » Des garçons ont beaucoup joué la saison dernière. Et inconsciemment, après, le corps se relâche et se fragilise peut-être un peu plus. On le paye aujourd’hui. Quand tu enlèves ceux qui ont le plus de leadership sur l’équipe comme Max Lucu et Yoram Moefana, il manque forcément quelque chose. Pareil pour le pack, avec l’absence de joueurs très durs physiquement. C’est problématique mais c’est le lot de tous les clubs.
« Je prends davantage la parole lors des réunions, même si je dois parfois forcer ma nature »
« Essayez-vous justement de prendre plus de place dans le leadership de l’équipe ? » Non, j’essaie de rester moi-même. Depuis l’arrivée de Noel McNamara et de Yannick Bru, j’ai pris un peu plus de poids dans le leadership technique et la façon dont on organise le jeu. Je prends davantage la parole lors des réunions, même si je dois parfois forcer ma nature. Ça me plaît mais je ne veux pas non plus surjouer ce rôle. Je suis plus un leader de terrain que de parole.
« À quel point la saison dernière va compter dans votre carrière ? » C’est la plus belle parce que c’est mon premier titre majeur et le premier pour le club, victoire en Coupe des champions. C’était magique. C’est l’une des saisons où j’ai trouvé le plus de régularité dans mon jeu et dans mes performances. J’ai trouvé ma place, le plaisir de gérer et de prendre des responsabilités. C’est un bon équilibre. Avant, j’avais un jeu un peu plus prononcé sur l’attaque, de chercher des solutions plus individuelles, même si je n’ai jamais joué pour ça. Là, avec la ligne de trois-quarts qu’on a, c’est un régal d’être au milieu et de les mettre dans de meilleures dispositions. C’est l’évolution de mon jeu et de mon aspect physique, la maturité au poste, le fait d’avoir pris conscience qu’on ne peut pas jouer 31 matches dans l’année en attaquant tous les ballons.
« Je suis le premier à dire que j’ai des lacunes défensives mais j’ai parfois l’impression d’avoir été pointé du doigt injustement »
« Avec Lucu, vous donnez l’impression de vous nourrir l’un l’autre de vos qualités. Comment faites-vous ? » Max m’a beaucoup appris sur la gestion du jeu. Il est très bon dans ce domaine-là. Par sa façon de communiquer et de jouer, il a réussi à me canaliser. On a trouvé un bon mélange tous les deux. Parfois, j’étais un peu plus feu follet et porté sur l’attaque. Lui a un tempérament plus froid. Je m’inspire de lui sur ce côté-là. On se complète plutôt bien et on prend du plaisir à évoluer ensemble.
« Au printemps, nous avions évoqué votre travail défensif effectué avec Aurélien Cologni (entraîneur spécialiste de défense) »
Ils vont me faire des éloges sur la défense !
« Cologni nous disait : » Matthieu est un très bon défenseur, c’est juste que ça dormait en lui »…
C’était surprenant mais c’est effectivement la première chose qu’il m’a dite. J’ai pensé : « Soit il est fou, soit il a vu quelque chose en moi que personne n’a encore perçu ». Il a eu un discours très positif, il m’a apporté de la confiance. On bosse sur des situations réelles qui peuvent se reproduire en match et j’ai l’impression de progresser. Ce n’est pas parfait, mais je donne mon max pour augmenter mes stats et ma qualité de défense.
« Comment avez-vous vécu les critiques sur votre jeu défensif, comme lors de la défaite en Angleterre cet hiver ? » J’ai trouvé les remarques excessives. Je suis le premier à dire que j’ai des lacunes défensives mais j’ai parfois l’impression d’avoir été pointé du doigt injustement. Des stats parlent contre moi et il a fallu que je travaille. Je sais que ce n’est pas mon point fort, mais je n’ai jamais considéré que j’étais un joueur qui s’échappait. On m’a trop catégorisé comme un joueur qui n’aimait pas ça et qui s’enlevait dans les zones de contact. C’est un peu vexant. À moi de continuer à bosser pour faire changer les gens d’avis. En tout cas, j’y prends aujourd’hui plus de plaisir. J’essaie d’être un peu plus agressif et plus dominant, même si je sais que je ne serai jamais un sécateur. L’important est que je sois un peu plus dense dans ma zone et que j’apporte plus de confiance à mes coéquipiers dans ce secteur.

Avez-vous l’impression qu’on vous pardonne moins qu’à d’autres joueurs ? Oui, parfois, j’ai l’impression d’être davantage ciblé et d’avoir moins le droit à l’erreur. Mais c’est comme ça depuis le début de ma carrière. Je m’y suis habitué.
« Quelle est la différence notable pour vous entre la sélection et l’UBB ? » À Bordeaux, je ressens beaucoup plus de confiance autour de moi et du club. C’est un climat totalement différent en équipe de France, mais ça reste un plaisir d’y aller. Parfois en sélection, on est un peu plus durs, on essaie de me désigner coupable sur certaines prestations. Vous parliez du match contre l’Angleterre… On avait plutôt bien attaqué. Sur le plan défensif, j’avais raté des plaquages, comme tout le monde. Quand je sors, on mène 18-12. Et à la fin du match, j’ai l’impression que c’est moi qui ai fait perdre l’équipe ! Je n’ai pas eu le soutien attendu. Mais c’est comme ça, ça fait partie de mon parcours. J’en avais parlé à Fabien Galthié dès la tournée de novembre.
« Où en êtes-vous de votre relation avec les Bleus ? » Je n’ai pas de problème avec l’équipe de France. C’est vrai qu’il y a eu une période plus compliquée. Comme cela a été dit, j’ai eu ces discussions avec Fabien sur un mal-être, des sentiments que j’avais besoin d’exprimer. Il a compris et accepté ce que je lui ai dit.
« Avez-vous toujours l’espoir d’être le numéro un chez les Bleus ? » C’était un truc auquel je pensais énormément avant… Il y a eu des moments plus compliqués. Je me suis peut-être trop pris la tête avec tout ça. Maintenant, je me concentre sur moi, mes performances en club et ma progression. On a montré qu’on était capables de gagner un titre majeur sur la scène européenne, ce qui compte dans l’esprit du staff.
« Cette histoire compliquée avec l’équipe de France vous a-t-elle parfois meurtri ? » Non, mais dans ma carrière, ça se passe plutôt bien, et l’équipe de France est une petite frustration parce que je n’ai jamais réussi à m’y épanouir pleinement. Depuis la Coupe du monde, ça a été plus compliqué et ce n’est jamais agréable. J’ai dit ce que j’avais à dire. Je ne sais pas si ça a plu, mais je pense avoir été entendu. Tout est apaisé, j’espère que le meilleur est à venir.
« À quel point fonctionnez-vous à l’affect ? » Énormément. J’ai besoin de sentir que le staff et les joueurs autour me font confiance, d’être épanoui à 100 % pour prendre du plaisir sur le terrain. C’est vrai qu’en équipe de France, parfois ça n’a pas été le cas. Je n’ai pas honte de le dire. Ça n’a pas toujours été facile à vivre. Je suis plutôt optimiste dans ma vie, j’essaie de ne pas me laisser déconcentrer par ce genre de choses mais on ne peut pas échapper à tout ce qui se dit. C’est un sentiment désagréable, ça peut nuire à notre performance mentale et physique.

Ressentez-vous un décalage entre l’image médiatique et la personne que vous êtes ? De moins en moins. Parfois j’avais l’impression d’être victime de certaines attitudes sur le terrain, qui n’ont pas toujours été les meilleures… C’était aussi de ma faute. J’ai manqué de maturité sur des choses extra-sportives, aussi. Et les gens n’ont pas pris le temps de me connaître, m’ont très vite mis dans une case. Mais je sais que la personne que je suis n’est pas ce qui est décrit dans l’opinion publique. Après, je n’ai jamais été quelqu’un qui veut plaire à tout le monde. Si j’en suis là, c’est aussi par mon chemin, tous ces petits incidents qui m’ont construit et font que je suis une personne différente. Mais j’ai l’impression que l’opinion commence à changer et que j’ai une meilleure image.
« Pour moi, le comportement sur le terrain, c’est différent de ce qu’on est dans la vraie vie »
Le comportement sur le terrain peut être différent de ce que l’on est en dehors, et je l’assume. Greg Alldritt est un joueur que j’apprécie et que je respecte énormément. Mais sur un terrain, il peut y avoir chambrage, tension et combat; ce n’est pas pour autant que l’on ne se respecte pas, et on peut se saluer après le coup de sifflet. Ces gestes ont manqué de maturité et je les regrette, car ils ne reflètent pas la personne que je suis et ils font partie de ma carrière.
« On se souvient aussi de la fin de la finale de Coupe des champions animée avec Henry Pollock. Quel regard portez-vous sur lui ? » Quand tu es face à lui, il est insupportable, mais ce genre de personnage manque au rugby. Il est dans son truc, il chambre et il n’y a jamais rien de méchant. Je ne pense pas que ce soit un manque de respect, il s’amuse. C’est une bonne tête d’Anglais comme on aime les détester et il va nous faire parler pendant quelques années !









