Ce samedi à Berlin, Mael Corboz mènera Arminia Bielefeld sur la pelouse pour la finale de la DFB-Pokal, la Coupe d’Allemagne. En sortant du tunnel de l’Olympiastadion, lui et son équipe seront accueillis par 75 000 spectateurs dans une ambiance survoltée, point d’orgue d’une saison exceptionnelle.
Ce moment symbolise pour Corboz la confirmation qu’il a su prouver sa valeur.
Un parcours atypique vers la gloire
Né en Alabama et élevé dans le New Jersey, Mael Corboz, 30 ans, évolue dans le football européen depuis près de dix ans. Son parcours est jalonné d’épreuves, de doutes et de refus, mais il se retrouve aujourd’hui au centre d’un véritable conte de fées.
Arminia Bielefeld, club issu de la 3. Liga, la troisième division allemande, a éliminé adversaire après adversaire pour atteindre cette finale. Ils affronteront Stuttgart, équipe de Bundesliga qui disputait encore la Ligue des Champions face au Real Madrid il y a quelques mois.
Une situation exceptionnelle, à l’image du joueur lui-même.
Mael Corboz : un capitaine réfléchi et engagé
Corboz est un lecteur passionné et un penseur curieux, capable d’évoquer Marcel Proust, Albert Camus ou des théories scientifiques sur l’aléatoire. En parallèle de sa carrière sportive, il dirige sa propre société de conseil en durabilité, qu’il gère entre ses rôles de footballeur, mari et père d’une fille de presque six mois.
Mais ce week-end, il sera avant tout le capitaine et milieu de terrain d’Arminia.
Avec un espresso fraîchement servi et les terrains d’entraînement baignés par le soleil derrière lui, il confie ce qui fait de lui un leader : « Je suis doué pour m’inquiéter », explique-t-il. « J’aime garder un œil sur tout pendant la semaine et organiser les choses pour être prêt le week-end. »
« C’est aussi mon rôle d’avoir une certaine peur, pour ressentir ce dont les autres ont besoin. Je sais qui doit être soutenu. Si un joueur va mal, je peux lui mettre un bras autour de l’épaule et comprendre ce qui se passe. »
Une équipe soudée et prête à tout
Dans le salon des joueurs, l’ambiance est détendue : deux coéquipiers rient autour d’un jeu de fléchettes. Partout, des signes illustrent les exploits accomplis et ceux à venir : maillots commémoratifs signés, affiches promotionnelles en édition limitée pour la finale.
Sur un tableau blanc, la liste des adversaires affrontés en DFB-Pokal est barrée, sauf Stuttgart.
Mais Arminia ne se rend pas à Berlin pour faire de la figuration. « On a un slogan affiché en bas : une équipe, 100 % chaque jour. L’intensité est la seule chose que l’on peut contrôler », souligne Corboz. « Je peux avoir un bon ou un mauvais jour avec le ballon, mais je contrôle toujours mon engagement. »
Une montée en puissance spectaculaire
Cette intensité a rendu Arminia redoutable. Sous la houlette de Mitch Kniat, l’équipe composée de joueurs méconnus, dont Corboz, a franchi cinq tours en éliminant des clubs de divisions supérieures. Quatre d’entre eux évoluaient en Bundesliga, mais aucun n’a su contrer le pressing agressif d’Arminia, leurs contres éclairs et la préparation tactique minutieuse de leur staff.
Union Berlin, Fribourg et Werder Brême ont été battus, et le public allemand a adopté ces nouveaux héros locaux tels que Marius Worl, Louis Oppie, Jonas Kersken, Sam Schreck ou Christopher Lannert.
Un exploit face à Bayer Leverkusen
En demi-finale, Arminia a affronté le redoutable Bayer Leverkusen, champion en titre et l’une des meilleures équipes d’Europe, dirigée par Xabi Alonso.
« Avant ce match, nos analystes ont étudié 16 rencontres de Leverkusen pour déceler une faiblesse, sans succès », raconte Corboz. Pourtant, à domicile, Arminia a mis Leverkusen très mal à l’aise.
La victoire 2-1 a été célébrée avec une joie incroyable, tandis que les supporters agitaient fièrement les couleurs bleu, noir et blanc du club.
« On adopte un état d’esprit avant ces rencontres : on y va à fond, sans pression, avec une seule chance à saisir. Si ça marche, tant mieux. Sinon, c’est l’outsider qui doit perdre. »
Un club en pleine renaissance
Lors d’une visite du centre d’entraînement inauguré en août 2024, Corboz présente un analyste concentré sur les failles de Stuttgart, l’adversaire de la finale. Il montre la salle de musculation et le sauna de récupération, financé grâce aux primes obtenues en battant Union Berlin au deuxième tour.
Le parcours en Coupe a déjà rapporté environ 8 millions d’euros au club. Avec la montée en 2. Bundesliga assurée il y a deux semaines, l’avenir s’annonce prometteur.
Il est difficile d’imaginer qu’il y a seulement un an, Arminia semblait sombrer dans l’abîme. Relégué deux années consécutives, le club a frôlé la descente en quatrième division, un niveau semi-professionnel régional.
Le parcours personnel de Mael Corboz
Cette saison, Corboz a été élu meilleur joueur de la 3. Liga. Sa chevelure attachée le rend reconnaissable, mais son chemin a été long et exigeant.
Ses parents sont originaires de Grenoble, en France. Son père, chercheur scientifique, jouait en troisième division française tout en préparant son doctorat. Après un séjour initial d’un an en Alabama, la famille s’est installée dans le New Jersey quand Mael avait trois ans, emportant avec eux leur passion pour le football européen.
« On trouvait toujours un moyen de suivre les matchs, je regardais la Ligue 1 et les résultats de Ligue 2. Je me souviens de Bordeaux avec Yoann Gourcuff, mon joueur préféré dont le poster est toujours dans ma chambre. »
En été, il jouait au foot-tennis dans le jardin avec ses sœurs, Daphné et Rachel, toutes deux joueuses professionnelles en France (Paris FC et Reims). Rachel sera à Berlin pour la finale, tout comme leurs parents. Daphné ne pourra pas venir, retenue à un mariage prévu de longue date.
Une carrière façonnée par la résilience
Corboz a joué au football universitaire à Rutgers puis à l’Université du Maryland, avant d’intégrer les New York Red Bulls. Face à une concurrence dense, il a choisi de descendre en United Soccer League avec Wilmington Hammerheads, club associé au MSV Duisburg, son premier club européen en 3. Liga.
« J’ai toujours voulu jouer en Allemagne », confie-t-il. « Jouer en USL, c’était un niveau que je maîtrisais. Il fallait prendre le risque ou perdre l’occasion. Au pire, je pourrais toujours raconter que j’ai vécu deux ans en Allemagne. J’ai toujours cherché à sortir de ma zone de confort pour voir si je pouvais survivre. »
Mais son intégration fut difficile : « Duisburg était en tête toute la saison, mais je n’ai pas joué un seul match. Je me demandais chaque jour ce que je faisais là. Mon identité est basée sur le football, et là j’étais un joueur qui ne jouait pas. »
Isolé dans un pays étranger, il a douté. Le football avait orienté ses choix de vie, le poussant à renoncer à une université Ivy League pour s’installer dans le cœur industriel allemand.
« Je passais trop de temps à penser à l’entraînement et à ce que je devais faire. J’ai perdu toute spontanéité dans mon jeu. Quand on te répète que tu n’es pas assez bon pour être dans le groupe, tout joueur réfléchi se demande s’il est à la hauteur. »
Une ascension vers le succès durable
Il a envisagé de rentrer aux États-Unis, mais a finalement persévéré, trouvant un nouveau club en quatrième division, SG Wattenscheid, grâce à la confiance d’un entraîneur qui connaissait son agent.
Ses bonnes performances lui ont ouvert les portes des Go Ahead Eagles, club néerlandais de deuxième division, où il a aussi commencé à s’intéresser à sa vie après le football.
Diplômé en génie mécanique avec spécialisation en systèmes énergétiques, il a proposé au club de s’impliquer dans la gestion des déchets plastiques. Son projet a permis à Go Ahead Eagles d’être le premier club aux Pays-Bas à utiliser des gobelets 100 % recyclés, système toujours en place aujourd’hui.
Cette activité s’inscrit désormais dans elevengreen, la société de conseil en durabilité qu’il a fondée et qu’il gère depuis chez lui.
Retour en Allemagne et rôle de leader
En 2020, il revient en Allemagne au SC Verl, un petit club qui performe en 3. Liga. Là, il prouve qu’il peut évoluer à ce niveau et rencontre Mitch Kniat, futur entraîneur d’Arminia.
Lorsque Kniat rejoint Arminia en 2023, Corboz le suit un an plus tard et devient capitaine cette saison.
« J’ai vécu à Bielefeld quand je jouais pour Verl. J’ai vu le club évoluer en Bundesliga, 2. Bundesliga, puis descendre en troisième division. La ville est pleine de supporters, c’est un vrai club. Quand l’opportunité s’est présentée, je n’ai pas hésité. »
Une saison marquée par la survie et l’espoir
Mais le choix n’a pas été simple. En 2023, Arminia a terminé 16e en 2. Bundesliga et a dû disputer un barrage de relégation contre Wiehen Wiesbaden. Après une défaite 4-0 à l’aller, la tension était à son comble lors du match retour, les supporters menaçant d’envahir la pelouse.
Ce fut un moment critique. Avec cinq entraîneurs en 14 mois et un exode des talents, le club était au bord du gouffre, et les supporters en colère. Le capitaine précédent, Fabian Klos, avait les larmes aux yeux et refusait de blâmer les fans.
Arminia a finalement été relégué. La saison suivante, Corboz est arrivé dans une équipe fragile, sous une pression immense, avec le risque de licenciements massifs et de départs en cascade.
« L’an dernier a été un enfer. On a hérité d’une situation difficile et ressenti la pression du club, des fans et de la ville. Chaque joueur avait peur, mais c’était à nous d’y faire face. »
« Un an plus tard, cette saison pourrait être la plus grande de l’histoire du club, avec les mêmes joueurs. »
















