Jeudi matin à Augusta National Golf Club, Taylor Pendrith s’apprêtait à frapper le premier coup de sa carrière au Masters. Face au ciel d’un bleu éclatant et à la brise fraîche, il esquissa un sourire chargé d’émotion :
« Comme j’aurais aimé que Herbie soit ici. »
Herb Page : un coach toujours présent malgré la maladie
Herb Page, ancien entraîneur de golf à Kent State, a assisté aux débuts au Masters de chacun de ses anciens joueurs depuis 2004, accompagnant Ben Curtis en tant que caddie lors d’une séance d’entraînement du lundi, puis Corey Conners et Mackenzie Hughes à leur tour. Mais ce jeudi à 9 heures précises, Page se trouvait à 1087 kilomètres d’Augusta, à la Cleveland Clinic dans l’Ohio, où il recevait sa troisième dose de chimiothérapie sur six.
À 74 ans, Page a perdu près de 18 kilos depuis son diagnostic de cancer du pancréas à l’automne dernier, mais n’a rien perdu de son sens de l’humour. Vêtu d’un polo vert et d’une casquette aux couleurs du Masters, il plaisantait en suivant la compétition sur son ordinateur portable tout en étant relié à une perfusion :
« Je prends le virage », lançait-il avec légèreté.
Des liens forts avec ses joueurs
Lorsque les horaires de départ des deux premières journées ont été publiés, Page a envoyé un message à Pendrith et Conners :
- Herb Page : 9 h
- Taylor Pendrith : 9 h 03
- Corey Conners : 9 h 14
Réponse de Pendrith :
« Coach, à 9 heures, je lèverai les yeux au ciel en pensant à vous. »
Un peu plus tard, Page commentait en souriant la première erreur de Pendrith sur le trou numéro 1 : « Il a fait un bogey, c’est le stress. »
La première partie au Masters de Pendrith fut difficile avec un score final de 5 au-dessus du par (77), mais Conners s’est distingué avec un 68, enchaînant trois birdies sur ses quatre derniers trous, se plaçant juste derrière le leader Justin Rose et ex æquo avec le tenant du titre Scottie Scheffler.
« Attention ! » a écrit Page par SMS. « Il commence fort. »
Pour Conners, « il est toujours là, toujours dans notre coin et à nous encourager ».
Un combat contre le cancer débuté tardivement
Herb Page était au sommet de sa forme en septembre dernier, accompagné de ses protégés lors de la Presidents Cup à Montréal, où il a pu assister en accès total aux rencontres grâce à Mackenzie Hughes. Bien que devenu la mascotte de l’équipe internationale, il se sentait pleinement intégré et apprécié, notamment sous le regard bienveillant d’Ernie Els, adjoint du capitaine.
Mais peu après cet événement, un rendez-vous médical anodine pour une possible infection urinaire a révélé une autre réalité grave. Une batterie d’analyses complémentaires a conduit à un diagnostic dévastateur : un cancer du pancréas, la même maladie qui avait emporté trois de ses amis en quelques mois.
« C’est une condamnation à mort », confie Page, conscient que, dans la majorité des cas, la détection survient trop tard.
Heureusement, pour lui le cancer était encore au premier stade, ce qui lui a permis de subir l’intervention chirurgicale dite de Whipple fin décembre après un passage difficile de plusieurs semaines à l’hôpital.
Depuis, son combat médical continue avec l’espoir d’un pronostic favorable :
« Ils ont fait un travail d’enfer, et ils pensent avoir tout enlevé. Je suis chanceux d’être allé dans cette clinique. »
Un entraîneur passionné et un mentor inspirant
Page a fondé le programme golf de Kent State en 1978, partant de rien avec seulement deux bourses d’études et aucun matériel. Grâce à son ardeur et à son exigence, il a guidé les Golden Flashes vers 17 participations au Championnat NCAA, incluant une présence au match play de Riviera en 2012.
Parmi ses joueurs phares :
- Corey Conners, un attaquant hors pair originaire de Listowel, Ontario.
- Mackenzie Hughes, excellent putter de Hamilton, Ontario.
- Taylor Pendrith, impressionnant par sa longueur, également de l’Ontario.
Tous trois sont aujourd’hui membres du PGA Tour… et vainqueurs sur le circuit.
Page plaisante : « Je les avais, mais on ne gagnait même pas le championnat national. Ils auraient dû me virer. »
Malgré sa retraite en 2019, il reste proche de ses anciens joueurs. L’été dernier, après une mauvaise série au putting, Pendrith a pris la route pour passer quatre heures avec son mentor à travailler ce point précis.
Un soutien indéfectible depuis l’hôpital
Au début de cette année, Pendrith et Hughes ont offert à Page et sa femme Paula des places pour le Masters. Malgré son immense désir d’être présent, il a dû décliner, une décision douloureuse.
Conners espérait lui rendre visite, mais une hospitalisation prolongée en a décidé autrement. Il garde cependant l’espoir de le revoir bientôt, peut-être avec une veste verte en poche. Malgré plusieurs top-10, l’étoile montante du golf canadien manque d’un petit supplément pour s’imposer au sommet.
Lors de son premier tour à Augusta, Conners n’a manqué qu’un seul fairway et a touché toutes les zones de green sauf quatre. Sur les par-5, son putter, recommandé par son père Mike, a été décisif, avec deux birdies de plus de 4,5 mètres revenant à sa précision.
Le plus enthousiaste devant cette performance était bien sûr Page, qui a envoyé un message succinct :
« Putteur en feu ? Oui, Corey ! »
Et Conners de répondre :
« Personne ne combat plus fort que Coach Page. Je sais qu’il donne tout ce qu’il peut. »
De son lit d’hôpital, Page confie :
« Je manque l’action aujourd’hui, mais voir mes joueurs me réjouit. Ils m’envoient tellement de messages. Ils savent ce que je traverse. Comme Conners hier soir : il pense à moi. Pendy aussi, il m’a dit : ‘Coach, on sera là en 2026 tous les deux.’
Ce n’est pas moi qui les inspire, ce sont eux qui m’inspirent. »










