Girondins de Bordeaux : la descente aux enfers des supporters
Girondins de Bordeaux : la descente aux enfers des supporters
« Je suis dégoûté, mon fils de 8 ans ne verra jamais ce que j’ai vu quand j’étais petit », confie Émilien Perdriaud, un supporter charentais des Girondins. Laurène Chassagne, fidèle membre des Ultramarines, le principal groupe de supporters, partage ce sentiment : « C’était une tradition familiale d’aller au stade. Émotionnellement, c’est compliqué. C’est un pan de ma vie qui s’effondre. »
Un drame humain
Ce désarroi des supporters illustre la chute vertigineuse des Girondins de Bordeaux. Cette dégringolade s’inscrit dans les ravages du « foot business » qui a touché le club. « Cette évolution met en lumière les dommages causés par le modèle économique qui régit le football professionnel depuis plusieurs années. L’alliance du trading et des droits TV, qui représente souvent plus de 50 % des budgets de nombreux clubs, est désormais insoutenable », écrit Mathieu Hazouard, adjoint aux sports de la Ville de Bordeaux, dans Le Monde. C’est ce qui a précipité la chute des Girondins.
Cette déroute a commencé en 2018, lorsque M6, propriétaire depuis 1999, a cédé le club aux Américains de GACP, soutenus par les fonds d’investissement Fortress et King Street, connus pour leurs prêts à des taux d’intérêt élevés. Aujourd’hui, six ans plus tard, le club a accumulé plus de 100 millions d’euros de dettes et a perdu son statut professionnel, acquis en 1937. Le centre de formation a été supprimé, laissant 50 à 60 jeunes sans avenir. « C’est un drame humain », souligne Laurène Chassagne. Les collectivités, quant à elles, sont restées dans l’incapacité d’agir. « La mairie n’est pas en première ligne, le club est une société privée », déclare Pierre Hurmic, le maire de Bordeaux, sur France Info. « L’argent public n’a pas sa place dans un modèle spéculatif comme celui-ci. »
Une gestion complexe
La co-gestion actuelle des Girondins est assurée par un administrateur judiciaire et Gérard Lopez, l’homme d’affaires hispano-luxembourgeois qui a racheté le club en 2021, mais sans succès. « Gérard Lopez ne peut pas agir à sa guise. Si un repreneur se manifeste et propose d’améliorer le remboursement des créanciers, le club sera vendu. Il n’a plus le contrôle », analyse David Gluzman, banquier et observateur avisé des Girondins. Parmi les supporters, le mécontentement grandit, comme l’exprime Emerick Vrignaud, de La Couronne : « J’ai l’impression que notre fossoyeur ne partira jamais. Aujourd’hui, j’espère presque la liquidation pour repartir avec des finances assainies. » Jordy Cassouret, un Angoumoisin de 30 ans, partage cette colère : « Je blâme la mairie, M6 pour avoir vendu le club aux Américains, et Gérard Lopez… On savait que ce mec n’était pas fiable. » Le maire de Bordeaux appelle à revisiter le modèle : « Profitons de cette chute pour rebondir, avec un modèle plus ancré dans la région, en phase avec les supporters. »
Des choix difficiles à faire face à l’incertitude
Dans l’urgence, un effectif a été constitué en quelques jours. Mais le dilemme du stade demeure. Le Matmut Atlantique ? Trop coûteux à exploiter (4,7 millions par an) et les Girondins sont déjà endettés de 20 millions d’euros envers la Métropole, d’après Sud Ouest. Qui va régler l’addition ? « Naturellement… Si le loyer n’est plus payé, cela reviendra à la Métropole, donc au final au contribuable », reconnaît le maire Pierre Hurmic. L’option d’un stade, Sainte-Germaine, d’une capacité de 3 500 places est envisagée, mais soulève des questions de sécurité. C’est là que les Girondins entameront leur saison, ce samedi, à huis clos, avant de pouvoir accueillir leurs supporters dans les semaines suivantes. « Parce qu’on sera toujours là, même en départementale », ajoute Jordy Cassouret.
Anatomie d’une chute
Dès l’entrée des Américains en scène en 2018, la gestion du club devient luxueuse. Le modèle s’appuie massivement sur le trading, l’achat et la revente de jeunes joueurs. Malheureusement, « le trading n’a jamais porté ses fruits et la masse salariale s’est envolée. Ils ont tenté une stratégie de trading sans avoir le bon stratège », décrit David Gluzman. Les revenus diminuent alors que les charges explosent, et en avril 2021, le fonds d’investissement King Street décide d’arrêter les investissements. Gérard Lopez, ancien dirigeant de Lille, arrive pour prendre les rênes, mais sans inverser la tendance. Bordeaux tombe en Ligue 2 et, après avoir échoué à remonter, termine la saison dernière à la douzième place. Les finances étant au plus bas, Gérard Lopez refuse d’injecter de nouveaux fonds. « Au lieu de stabiliser le club en L2 pour repartir sainement, il a misé tout sur un coup », observe le banquier Gluzman. En juillet, le club est placé en redressement judiciaire, gelant ainsi toutes ses dettes de plus de 100 millions d’euros. En conséquence, la DNCG, le gendarme financier du football français, relègue les Marine et Blanc en National 2, au même niveau que l’ACFC.