Éric Wattellier arbitre Ligue 1 : premier match, une leçon formatrice

Éric Wattellier arbitre Ligue 1 : premier match, une leçon formatrice

Entretien avec Éric Wattellier, arbitre de Ligue 1, sur son premier match, l’évolution de l’arbitrage et les défis du métier, entre formation et exigence.

France

Cette semaine marque la 24e édition des Journées de l’Arbitrage La Poste. Cet événement est-il suffisant pour sensibiliser le monde du sport à l’arbitrage ? Non, ce n’est jamais suffisant, mais il demeure un rendez-vous important pour mettre en lumière le rôle et la profession, qui restent souvent discrètes, car on dit qu’un bon arbitre est celui qu’on ne voit ni n’entend pas. Pourtant, il faut parfois prendre des décisions lourdes et entrer dans la lumière. Cet événement permet aussi de valoriser l’ensemble des arbitres amateurs, qui se chiffrent à environ 26 000, et il y a eu une remontée après le creux provoqué par la crise sanitaire. Une partie du travail consiste aussi à communiquer via les réseaux et des vidéos pour donner envie à des jeunes d’embrasser cette voie.

Les Journées de l’Arbitrage ne se limitent pas au football et s’ouvrent à d’autres sports co. Éric Wattellier rappelle qu’il vient d’une région où le rugby a une forte identité et que les échanges entre arbitres de différents sports se font. Il évoque l’existence d’un syndicat, le SAF, qui promeut et défend l’arbitrage et les droits des arbitres, et souligne des initiatives de coopération avec des arbitres d’autres pays. Des échanges avec des arbitres espagnols montrent que la France est perçue comme efficace pour défendre la corporation.

Vous souvenez-vous de votre premier match en Ligue 1 ?

Oui, c’était il y a huit ans, à Caen.

La symbolique de la première expérience au plus haut niveau est forte pour les joueurs comme pour les arbitres. À l’époque où je suis arrivé en Ligue 1, la VAR faisait son entrée et il fallait s’adapter à un contexte médiatique et à l’arbitrage vidéo. Je n’étais pas au meilleur de moi-même, j’étais un peu à l’envers et j’ai rapidement vu ce qu’il ne fallait pas faire. Cette première erreur a été extrêmement formatrice, et j’ai pu corriger le tir en poursuivant ma carrière.

Votre relation avec les joueurs de Ligue 1 a-t-elle évolué en huit ans ?

Au début, les joueurs ne vous connaissent pas et vous testent pour voir s’ils peuvent discuter ou contester. Il faut être plus strict et poser des limites, afin d’éviter d’être mis en difficulté. Avec le temps, ils apprennent votre manière d’arbitrer et la confiance se renforce. Aujourd’hui, ils savent qu’un contact ne doit pas être une raison pour tout donner et laissent davantage jouer. J’ai le sentiment qu’ils me font aujourd’hui plus confiance.

L’arbitrage français a-t-il changé par rapport à il y a huit ans ?

Oui, il a évolué positivement. Les dernières désignations internationales et les finales des Euros masculins et féminins disputées par des arbitres français montrent le niveau atteint. La médiatisation s’est aussi ouverte, contrairement au passé. Certaines périodes ont prôné de laisser jouer un peu plus, ce qui, selon moi, contribue à des matchs plus rythmés et au spectacle. Même sur un championnat de 34 journées, on ne peut pas adopter exactement le même type d’arbitrage qu’en Coupe d’Europe, et il faut s’adapter à la réalité des équipes.

On a parfois l’impression que les arbitres français laissent moins jouer en Ligue 1 qu’en Coupe d’Europe. Est-ce exact ?

Non, ce n’est pas aussi simple. Un championnat et une compétition internationale ne se comparent pas de la même manière. Le niveau et la dynamique diffèrent, et l’arbitre doit s’ajuster en conséquence. Il existe encore des marges de progression dans ce domaine.

La question des cartons rouges a-t-elle changé ce début de saison ?

Tout dépend des situations. S’il y a des fautes ou des attitudes qui méritent un carton rouge, il n’y a pas de débat. Il n’existe pas de consigne visant à sanctionner plus fort parce que c’est le début de saison; ce genre d’idée n’a pas cours.

La VAR a-t-elle déresponsabilisé l’arbitre ?

Non, ce ne doit pas être le rôle de la VAR. Il faut continuer à arbitrer naturellement et, en cas d’erreur claire et évidente, recourir à l’écran. Sinon, on conserve la décision sur le terrain. En dernier ressort, c’est l’arbitre central qui tranche.

Et la notation lorsque la VAR intervient ?

Ça dépend des situations. Si un arbitre pense sans cesse à sa note, il se trompe. Je me fiche de ma note et j’essaie de prendre les meilleures décisions sur le terrain. Si la vidéo m’indique qu’une modification est nécessaire, je l’accepte et je ne change pas une décision si je suis convaincu d’avoir raison. C’est aussi notre libre arbitre.

Un exemple récent, le derby Lens-Lille et le troisième but lensois qui a été contesté par le debrief de la DTA. Les erreurs font partie du métier, même avec la VAR ?

Oui, l’erreur est un concept subjectif. Sur ce match, j’ai pris une décision en cohérence avec l’arbitrage que j’avais mené tout au long de la rencontre. Sur le moment, devant l’écran, il n’y avait pas d’erreur manifeste et j’ai maintenu ma décision.

C’est moins accepté aujourd’hui de voir un arbitre faire des erreurs ?

Ce ne sont pas les erreurs sur le terrain qui posent problème, on comprend que l’action se joue en quelques secondes. En revanche, les erreurs liées à la VAR font souvent débat médiatique. Sur le terrain, le taux d’erreur reste faible; le football étant fait de situations interprétables, l’arbitre doit disposer d’une certaine liberté pour juger. Les erreurs existent chez tout le monde, joueurs comme entraîneurs et dirigeants.

Les tensions entre les acteurs du football, notamment durant la saison précédente, ont-elles rendu la relation arbitres-autres acteurs plus compliquée ?

Oui, cette saison a été particulièrement difficile. Nous avons dû nous défendre face à des attaques injustes qui ont aussi des répercussions sur la vie privée des arbitres. Ce qui se passe en haut se répercute sur l’ensemble du football, y compris le niveau amateur. Des raisons économiques complexes expliquent ces excès, mais l’idéal est que chacun montre l’exemple.

En parlant du terrain, vous disiez qu’il ne faut pas de contact avec les clubs en dehors des matchs et qu’il faut multiplier les échanges à froid. Comment se déroulent ces échanges ?

La direction de l’arbitrage organise des réunions en début de saison avec les clubs et le centre VAR, et invite l’ensemble des clubs. Malheureusement, peu de clubs y participent. Il faut que tous les acteurs communiquent ensemble : discuter calmement et sans chercher le buzz médiatique. La communication est la clé et elle doit être permanente, pas seulement pendant les temps forts du calendrier.

Et l’ego des arbitres ?

L’ego doit être mis de côté, car nous sommes exposés à de nombreuses critiques et erreurs. On se remet en question après chaque match et on analyse nos performances. Un ego trop important peut mettre en danger la longévité au haut niveau. Beaucoup de jeunes arbitres abandonnent au bout de deux ans pour des raisons liées à des comportements injustes.

Comment se porte l’arbitrage amateur face à ces évolutions ?

Les attitudes deviennent de plus en plus véhémentes, et les arbitres officiels restent les boucs émissaires lorsque les résultats ne sont pas bons. Pour lutter contre cela, la direction de l’arbitrage a proposé le carton blanc pour les joueurs et les bancs, afin de les sanctionner sans expulser les joueurs. De plus, des districts ont reçu des caméras portables GoPro pour équiper des arbitres amateurs lors de matchs sensibles. Ces images peuvent être utilisées en commission de discipline. Des effets commencent à se dessiner, notamment sur les bancs de touche, mais il faut attendre le bilan de fin de saison.

Et comment se traduisent les premiers résultats ?

Dans les districts qui ont expérimenté ces outils, on observe déjà des effets. On peut espérer une meilleure fidélisation des jeunes arbitres, car un débutant est souvent perdu dans les premières années sans accompagnement. C’est pourquoi un système de parrainage a été mis en place, afin d’accompagner les nouveaux sur plusieurs rencontres avec un mentor expérimenté.

Qu’est-ce qui vous a motivé à devenir arbitre ?

Je viens d’une famille de footeux et mes parents ont toujours été bénévoles dans le foot. J’ai commencé à jouer très jeune et mon entraîneur, qui était aussi arbitre, m’a encouragé à tenter l’arbitrage. Après une grave blessure, j’ai choisi de me consacrer à l’arbitrage et j’ai continué à jouer brièvement avant de me lancer pleinement dans l’arbitrage fédéral. Sur le terrain, j’étais libéro à l’époque où ce poste existait encore.

Un arbitre est-il nécessairement quelqu’un qui a échoué à devenir pro ?

Pas du tout. J’ai toujours su que je ne serais pas le meilleur, et je jonglais entre études et jeu. Mon objectif n’était pas de devenir pro; je préparais des études de chirurgie dentaire et cela m’a permis d’avoir une autre dimension de la vie en dehors du football.

En tant que passionné de football, êtes-vous impressionné par certains gestes ou buts lorsque vous arbitrez ?

On ne vit pas le match comme les téléspectateurs. On entre sur le terrain en mode arbitre, concentré sur le jeu, les déplacements et les décisions. On devient presque aveugle au spectacle; néanmoins, des gestes beaux ou des buts spectaculaires apportent du plaisir, même si la priorité reste de prendre les bonnes décisions et de gérer l’ambiance du stade.

Vous avez dirigé un tour préliminaire en Ligue Conférence, Jagiellonia-Silkeborg, cet été. L’arbitrage diffère-t-il lorsque l’on ne connaît pas les joueurs ?

Oui, représenter son pays dans des compétitions européennes confère une vraie responsabilité et une approche différente. On se renseigne sur les équipes et leurs styles de jeu; l’analyse vidéo est essentielle. Pour ce match, le seul Français présent était suspendu, mais sur place, nous avons pu échanger et enquêter sur les joueurs. Ce type de rencontre demande une étude fine des styles et des cultures, ce qui est passionnant et dépaysant.

Un arbitre doit-il connaître le système et le style de jeu d’une équipe ?

Absolument. Le style d’une équipe détermine nos déplacements et nos anticipations. Le mode de marquage sur coups de pied arrêtés, la position des joueurs, tout cela se travaille aussi à la vidéo et s’affine au fil des matchs.

En dehors du football, êtes-vous encore chirurgien-dentiste ?

Oui, je travaille deux jours par semaine. C’est important de garder une activité à côté et de ne pas tout mettre dans le football. Cela permet aussi de relativiser et de revenir au lundi avec un autre esprit après un mauvais match.

Qu’est-ce qui est le plus dur, entre chirurgie dentaire et arbitre de Ligue 1 ?

Ce sont deux univers complètement différents, chacun avec ses propres difficultés. Le football est une passion et une chance de vivre des moments incroyables, mais il faut s’en rendre compte pour vraiment apprécier.

À quel point votre vie privée peut-elle influencer votre manière d’arbitrer ?

Comme dans tout métier, les soucis personnels peuvent peser. Il faut essayer de les mettre de côté le week-end et, si nécessaire, parler avec la direction. Parfois, il vaut mieux s’éloigner et se reposer plutôt que de rester dans un état mental négatif.

Être arbitre, c’est un beau métier ?

C’est extraordinaire. On voit l’envers du décor, on est au cœur du jeu et les décisions peuvent être déterminantes. C’est une activité qui demande une grande capacité d’analyse et de maîtrise émotionnelle, et elle fait rêver les fans de football. Je souhaite à tous les jeunes arbitres de vivre cette expérience.

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