100 points Chamberlain Hershey : secrets et témoignages

100 points Chamberlain Hershey : secrets et témoignages

Récit révisé des dernières sources vivantes sur le soir où Wilt Chamberlain a marqué 100 points, à Hershey, en 1962, et des témoignages qui entourent ce record mythique.

France

Du plus extravagant des records NBA, il ne reste que peu de traces: quelques clichés en noir et blanc, un enregistrement radio de faible qualité et la copie d’une feuille de marque. Il y a 63 ans, Wilt Chamberlain inscrivait 100 points face aux Knicks dans une petite ville de Pennsylvanie, mais sa performance n’a laissé dans l’écume des années que des traces fragmentaires. L’exploit n’a pas été filmé et ce qui demeure des décennies plus tard dépend essentiellement des témoignages des survivants, qui seuls pourraient confirmer ou démentir l’impossible.

À Hershey, dans une salle peu remplie, l’absence d’images a nourri les théories et les doutes autour de ce record. Une photo prise dans le vestiaire des Warriors et un bout de papier griffonné avec les chiffres 1-0-0 restent les témoins matériels les plus concrets; tout le reste appartient à la mythologie entourant ce soir unique.

Photo Getty Images associée au récit

Plusieurs voix des années 60 et des témoins encore vivants apportent des pièces au puzzle. L’écrivain Gary Pomerantz, auteur d’un ouvrage sur le sujet, a découvert que ses contacts étaient largement décédés, obligeant à repartir de zéro pour reconstruire le récit. Parmi les figures clés, Tom Meschery, dernier équipier encore en vie à l’époque de nos recherches, est devenu le point d’ancrage principal du témoignage collectif.

CHAPITRE 1 : UNE ODEUR DE CHOCOLAT

Tomislav Mescheriakov, dit le Russe fou
Tomislav Nikolayevich Mescheriakov, surnommé « le Russe fou »

Tomislav Nikolayevich Mescheriakov est né en 1938 en Mandchourie. Son grand-père, Vladimir Lvov, était sénateur russe, cousin éloigné de Tolstoï, et son destin familial a été marqué par les déchirements historiques et les migrations. Après une enfance mouvementée et diverses migrations, il adopte le nom de Meschery et s’impose comme l’un des joueurs qui signent l’entrée de Chamberlain dans une NBA encore en quête d’identité.

Dans un contexte de paranoïa politique, l’adolescent change son nom et porte désormais le surnom de « le Russe fou » sur les terrains de basket. Physiquement, il ressemble à un docker, mentalement il est libre et possède un tir fluide qui l’oriente vers la NBA, à Philadelphie où évolue Chamberlain. « C’était un homme immense et taiseux », se souvient Tomislav, qui ne peut rejoindre la Californie qu’en 1945, après un passage en internement à Tokyo avec sa mère et sa sœur.

Lorsqu’on remonte le fil de l’histoire, l’époque est marquée par le maccarthysme et une NBA fragile, en quête de légitimité et de public. Meschery raconte avoir été rapidement baptisé « le Russe fou » et avoir dû affronter des adversaires dans un sport qu’on ne lui donnait pas nécessairement les mêmes chances. Mais son talent a rapidement ouvert les portes du jeu professionnel.

Portrait de Dolph Schayes et Wilt Chamberlain
Des premiers pas dans une NBA encore en construction

À l’entrée en NBA, Chamberlain n’affichait pas seulement une stature exceptionnelle: il impressionnait par une coordination travaillée et un physique hors norme. « L’instrument le plus parfait créé par Dieu pour jouer au basket », disait Dolph Schayes, l’aîné de ses contemporains, résumant ce que les entraîneurs et les adversaires voyaient en lui.

« Il était superbe, parfaitement coordonné, des jambes interminables », ajoutait Meschery, décrivant un joueur dont le potentiel dépassait le cadre de l’attaque. À 16 ans, Chamberlain savait dunker depuis la ligne des lancers francs et inspirait déjà l’admiration chez les jeunes joueurs qui le suivaient.

En 1961, Chamberlain devient MVP dès sa première saison, puis, en 1966-1960, il réalise des performances qui resteront gravées dans les annales. Son entraîneur, Frank McGuire, évoque ces matches où il n’était jamais sorti du terrain et où il restait sur le parquet pour tenter d’établir des records, parfois au détriment des résultats d’équipe.

CHAPITRE 2 : D’UNE ESPÈCE SUPÉRIEURE

Harvey Pollack et la statistique
Harvey Pollack, pionnier des statistiques NBA

Le match du 2 mars 1962 n’attire pas les foules et l’initiative est inhabituelle: aucun reporter new-yorkais ne se déplace, et le documentaire n’est pas filmé. Harvey Pollack, homme-orchestre des Warriors, confie les chiffres et les observations à son fils Ron, alors adolescent, afin de constituer un compte rendu minute par minute. Pollack introduit les statistiques comme on les connaît aujourd’hui, y compris les contres et les interceptions, des données alors inexplorées.

« Wilt était très attentif à ses statistiques », assure Ron Pollack, qui se souvient d’un joueur d’une autre catégorie, capable de discuter chiffres et performances. Chamberlain, en plein ascendant, ne partageait pas le goût des compagnons d’équipe pour les sorties et les voyages; il cherchait surtout la balle et les chiffres attestant de sa réussite individuelle.

Le débat autour du caractère exceptionnel de Chamberlain s’intensifie lorsque, dans les vestiaires, les échanges deviennent plus durs et les égos plus hauts. Le récit de Meschery évoque un homme qui, parfois, pouvait sembler inaccessible et qui entretenait une relation complexe avec ses coéquipiers et ses adversaires.

CHAPITRE 3 : DU 7 UP AUX TEMPS-MORTS

Hal Pastner et son rôle de ramasseur de balles
Hal Pastner, jeune ramasseur de balles devenu observateur

Hal Pastner, jeune homme alors âgé de 12 ans, écoute le match à la radio et découvre, à la pause, que quelque chose de spécial est en train de se jouer. Plus tard, il devient l’un des témoins privilégiés des années suivantes, et c’est lui qui raconte comment son père, Harvey Pollack, l’a invité à noter les actions du match durant les cinq premiers mouvements afin d’obtenir un compte rendu fidèle.

À Hershey, Chamberlain, qui souffre d’un mal de dos et d’une gueule de bois apparente, poursuit son marathon de tirs et réalise des lancers francs avec une précision qui frise l’invraisemblable: 28 sur 32 tentatives. Son geste des lancers francs, qu’il emploiera par la suite jusqu’à le changer, est décrit comme spectaculaire par les témoins: « lorsque tout allait bien, il paraissait impossible à arrêter », se rappelle Meschery.

Le public d’Hershey observe en silence les exploits de la star, tandis que les pères de la jeunesse autour du terrain transmettent l’ambiance d’une soirée où le basket prend des dimensions presque théâtrales. Le public, pourtant surpris, demeure concentré sur les gestes du géant et sur les chiffres qui s’accumulent.

Dans ce contexte, les Knicks, désemparés, font face à un adversaire qui n’a pas peur de la confrontation et qui triomphe par l’adresse et la puissance. « Wilt était le roi, ceux qui l’entouraient ses esclaves », résume Dolph Schayes, ancien adversaire de Chamberlain.

Les lancers francs deviennent une étape cruciale et, malgré les difficultés, Chamberlain s’avère être un attaquant redoutable, même lorsque les adversaires font tout pour l’empêcher de marquer. Le récit témoigne de son sang-froid et d’un niveau de maîtrise qui dépasse les attentes, malgré un rythme de jeu qui, selon les témoins, paraissait parfois presque surréaliste.

CHAPITRE 4 : COMME DANS UN FILM MUET

Le dernier quart-temps et l’invasion des tribunes
Dernier quart-temps et effervescence des tribunes

Les derniers douze minutes prennent des allures de saynète plus que de basket: les Knicks tentent de couper le jeu et font faute sur les coéquipiers pour empêcher Chamberlain de recevoir le ballon. Le public se lève et chante, tandis que les commentateurs radio peignent une image à la fois burlesque et spectaculaire. Le match se termine dans un mélange de joie et d’incrédulité lorsque Chamberlain, sur une dernière possession, marque son centième point et que le parquet est rapidement envahi par des spectateurs enthousiastes.

À la fin, le score s’arrête à 169-147 pour les Warriors, et Chamberlain n’ajoute aucun tir supplémentaire. Le récit du soir est ainsi scellé dans une ambiance quasi de film muet, où les mots cèdent devant l’évidence d’un record qui semble suspendu dans le temps.

Harvey Pollack organise alors la diffusion des comptes rendus et la feuille de marque devient le souvenir physique de l’exploit: 100 points à 36 sur 63 tirs, 25 rebonds et 2 passes. Le récit retient surtout l’image d’un joueur qui, malgré ses défis, a laissé une empreinte durable dans l’histoire du basketball.

CHAPITRE 5 : LA GRANDE OURSE

La Grande Ourse: la villa emblématique de Chamberlain
La villa surnommée « la Grande Ourse »

Dans la semaine qui suit l’événement, l’écho médiatique reste faible et les opinions divergent. Pas d’images majeures et peu de couverture; la NBA reçoit un coup de projecteur discret mais durable, et l’exploit finit par prendre une dimension symbolique plus que statistique. Chamberlain n’est pas élu MVP de la saison, et son image reste controversée, même s’il accumule les chiffres spectaculaires. Malgré tout, son record résonne comme l’un des sommets imaginables du sport.

Après sa carrière, quelques récits évoquent des tentatives de diversification, et Chamberlain s’engage dans divers domaines, du cinéma à des entreprises. Sa vie se termine loin des projecteurs et, loin de la simple performance sportive, demeure entourée de légendes et de spéculations qui renforcent l’aura mythique du soir d’Hershey.

Le souvenir collectif retient néanmoins que le 2 mars 1962 a marqué une rupture dans l’histoire du basket: Wilt Chamberlain a inscrit 100 points dans une démonstration qui, tout en suscitant des débats, a convaincu une partie du public que les exploits peuvent exister en dehors des images et des records de répétition. La légende perdure au fil des générations et les joueurs qui s’attellent aujourd’hui à franchir les seuils, posent parfois en souvenir, comme Chamberlain, avec un morceau de papier à proximité de leur vestiaire.

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