Il y a une décennie, organiser un Mondial sur le continent africain semblait relever de l’utopie. La Tropicale Amissa Bongo, épreuve reine créée en 2006 et ouverte aux professionnels, dominait le paysage, tandis que le Tour du Rwanda, lancé en 2009, venait d’être reclassé en catégorie 1 par l’UCI.
Au siège de l’UCI à Aigle, en Suisse, la promotion du cyclisme africain n’était pas une priorité. La présence au comité directeur de Mohamed Azam, président de la Confédération africaine, et de son vice-président, Mohammed Belmahi, suffisait à donner bonne conscience.
Les besoins de certains pays africains étaient peu pris en compte et les engagements se résumaient souvent à des promesses ou à des visites officielles tous les quatre ans, lors des campagnes électorales pour la présidence de l’institution.
En 2017, avant le congrès électif des Mondiaux en marge des Mondiaux de Bergen, David Lappartient a compris que l’Afrique pouvait nourrir le programme de mondialisation du cyclisme, comme l’avait fait l’Amérique latine dans les années 1980 puis l’Asie et l’Océanie par la suite. Il fut le premier candidat à promettre l’organisation des Mondiaux sur le continent.
À l’époque, face au président sortant Brian Cookson, les chances du Français semblaient minces. Chaque continent disposait de neuf délégués votants et seul l’Europe détenait une majorité, mais cette promesse d’un Mondial en Afrique fit basculer Mohamed Azam et la Confédération africaine de cyclisme dans son camp.
Le sport, un levier politique pour le Rwanda
Le Rwanda n’attendait pas l’élection de Lappartient pour envisager le développement du cyclisme. Le pays, en plein essor dans la région des Grands Lacs, avait déjà envisagé l’organisation d’une épreuve World Tour ou d’un Championnat du monde, porté par Freddy Kamuzinzi et Olivier Grandjean, alors co‑organisateurs du Tour du Rwanda, avec le soutien de Jean-Claude Hérault, ancien directeur adjoint du Tour de France dans les années 1990.
Plus de vingt ans après la fin du génocide des Tutsis, le président Paul Kagame, au pouvoir depuis mars 2000, estimait que le sport pouvait être un outil pour redonner la dignité au pays. Dans L’Équipe, il expliquait en 2021 que le sport aidait à revenir à la normale et que le vélo était déjà bien ancré dans la vie quotidienne. Il ajoutait que les courses de vélo impliquaient des acteurs locaux et qu’on devait dépasser les approches centrées sur d’autres secteurs, car le cyclisme pouvait devenir un vecteur de cohésion et de développement.
Le Rwanda disposait déjà de cyclistes locaux, mais il fallait les aider à devenir des compétiteurs de haut niveau et à bâtir une culture sportive durable autour de la pratique du vélo.
Jonathan Boyer, premier Américain sur le Tour de France en 1981, avait découvert le Rwanda en 2006 presque par hasard et y était resté plus de quinze ans. Il avait repéré un potentiel chez les jeunes pilotes de taxis‑vélos et avait lancé l’idée de relancer des compétitions similaires à l’époque coloniale. Son travail a conduit à la création d’un centre d’entraînement à Musanze, au pied des volcans et près du parc des gorilles, à deux heures de route de Kigali. Ce centre existe toujours et a reçu le label de centre continental d’entraînement UCI, devenant aussi un lieu de visite pour les cyclotouristes étrangers.
Le Maroc n’a jamais proposé de dossier complet
L’organisation d’un Championnat du monde est alors vite apparue comme une évidence pour les autorités du pays, car le cyclisme était le sport qui s’était le plus rapidement développé sur le territoire. Le Tour du Rwanda contribuait à l’économie et à l’image nationale, et des partenariats avec des partenaires internationaux illustraient les retombées possibles à grande échelle. À l’époque, Kagame expliquait que le cyclisme pouvait profiter à tous et que les collaborations internationales pouvaient être bénéfiques pour le pays.
En 2019, la candidature était officiellement déposée. Quelques mois plus tard, le Maroc s’était aussi positionné mais sans jamais proposer un dossier complet. En septembre 2021, après deux visites de David Lappartient au Rwanda, l’UCI attribuait l’organisation des Mondiaux à 2025, avec le soutien technique d’ASO et des Belges de Golazo pour la logistique.
Depuis, ces Mondiaux ont suscité bien des discussions, et même bien avant le conflit qui a émergé à partir de 2022 à la frontière, entre les forces régulières de la République démocratique du Congo et les milices du M23 soutenues par le Rwanda. La diplomatie belge, proche du pouvoir à Kinshasa, a tenté d’influencer la géopolitique régionale et de discréditer l’organisation du Mondial au Rwanda.
Des accords de paix ont été signés en juin dernier à Washington, ce qui a permis au premier Championnat du monde de cyclisme jamais organisé en Afrique de surmonter les obstacles et d’accueillir dès dimanche Tadej Pogačar et toute sa bande.








