Un rapport confidentiel du ministère de l’Intérieur remet en question les idées reçues sur le lien entre le sport et la radicalisation, particulièrement en ce qui concerne le port du voile dans les pratiques sportives. Cette étude exhaustive, longtemps passée inaperçue, révèle des conclusions qui contredisent les discours officiels défendant une interdiction du voile dans le sport.
Une enquête approfondie tenue discrète
Depuis mai 2022, un rapport élaboré sous l’égide de l’Institut des Hautes études du ministère de l’Intérieur (IHEMI) est disponible, bien que peu médiatisé. Ce document, produit sous la direction de Bruno Retailleau, actuel ministre de l’Intérieur, s’appuie sur le travail de dix chercheurs qui ont analysé de nombreuses données fournies par les services de renseignement et mené plus d’une centaine d’entretiens auprès de 32 fédérations sportives.
Malgré l’intense débat politico-médiatique autour de l’interdiction du voile dans le sport, notamment défendue par le gouvernement, ce travail scientifique ne corrobore pas les arguments habituels. Il a fallu que Mediapart révèle son existence pour que ce rapport sorte enfin de l’ombre.
Un lien entre sport et radicalisation largement surévalué
Le rapport traite la question avec rigueur et nuance. Il détecte moins de 0,02 % des associations sportives concernées par des phénomènes de radicalisation ou de communautarisme, un chiffre démesurément faible face à l’ampleur des débats publics. Sur plus de 360 000 associations sportives en France, seules 62 présentent des signes de ce type.
Les auteurs précisent : « Les données collectées en entretien échouent à montrer un phénomène structurel ni même significatif de radicalisation ou de communautarisme dans le sport. Les “radicalisés” sont significativement moins sportifs (550, soit 7 % du FSPRT, en baisse) que la population générale. »
De plus, les structures sportives sont moins affectées par le communautarisme que d’autres associations, comme les associations culturelles.
Le sport, un frein à la radicalisation plus qu’une cause
L’étude inscrit également ses observations dans le temps, entre novembre 2019 et avril 2021, en mesurant une baisse depuis 2019 du phénomène. Fait notable, le rapport souligne que la pratique sportive n’est pas une priorité pour le séparatisme islamiste. Au contraire, plusieurs parcours de radicalisation sont marqués par un arrêt du sport :
- accidents brisant une carrière sportive,
- cessation d’activité sportive collective précédant un départ en Syrie,
- retrait des filles des cours de danse au moment de la conversion familiale.
Selon le document : « Le sport n’est pas une priorité du séparatisme islamiste, au regard des informations du SCRT (Service Central du Renseignement Territorial). » Les associations montrant des signes de radicalisation attirent surtout une jeunesse masculine issue de milieux populaires et immigrés, proposant majoritairement des sports collectifs populaires (football, futsal) ou des disciplines virilistes (musculation, sports de combat).
Le voile dans le sport, une question absente de l’étude
Si le rapport analyse en détail radicalisation, communautarisme, et pratiques sportives, il ne mentionne pas explicitement la question du port du voile par les femmes dans le sport. Cette absence est particulièrement notable au regard des polémiques publiques très vives autour de cette thématique, notamment portées par certains responsables politiques comme Bruno Retailleau ou Manuel Valls, qui justifient l’interdiction du voile au nom de la lutte contre la radicalisation.
Commandé par Roxana Maracineanu, ancienne ministre des Sports, alors que le voile et la radicalisation dans le sport faisaient déjà l’objet de débats médiatiques, le rapport visait à fournir des données fiables et précises pour éclairer les décisions politiques. Pourtant, il a visiblement été ignoré dans les arènes politiques et laissé dans l’ombre jusqu’à sa récente mise en lumière.










