Peu de footballeurs peuvent se targuer d’être vraiment uniques, mais Craig Johnston fait sans conteste partie de ces exceptions. L’Australien, autrefois joueur phare de Liverpool dans les années 1980, a remporté cinq titres de champion d’Angleterre et une Coupe d’Europe, mais ses exploits sportifs ne sont que la partie émergée d’une vie hors du commun.
Un parcours atypique entre sport, invention et musique
Ingénieur, homme d’affaires, musicien à succès, créateur d’un jeu télévisé et inventeur d’un système de sécurité pour mini-bars d’hôtel, Craig Johnston a toujours défié les standards traditionnels du monde du football. Retiré au sommet de son art, il s’est lancé dans de multiples projets, avant de devenir photographe passionné. Pourtant, sa modestie reste intacte face à une existence mouvementée qui s’étale sur 64 ans et trois continents.
Des débuts difficiles et une passion précoce pour le football
Né en Afrique du Sud puis élevé en Australie, Johnston découvre rapidement une passion pour le football, jugé plus sûr par sa mère que les sports locaux comme le rugby ou le football australien. Son rêve est mis à rude épreuve à seulement six ans lorsqu’il développe une grave infection osseuse, l’ostéomyélite, qui faillit lui coûter une jambe. Sauvé par un spécialiste américain, il passe plusieurs semaines immobilisé à l’hôpital. Pendant cette convalescence en 1966, alors que l’Angleterre accueille la Coupe du Monde, il tombe amoureux du football britannique.
Déterminé à poursuivre ce rêve, il négocie avec ses parents un compromis : s’il excelle en science, maths et anglais à l’école, il pourra tenter sa chance en Angleterre. À 14 ans, il écrit à plusieurs clubs et seule Middlesbrough répond favorablement, à condition qu’il finance lui-même son voyage et son séjour. Malgré les sacrifices financiers de ses parents, qui vendent leur maison, Johnston débarque à 15 ans dans le nord-est de l’Angleterre, armé de peu – une poignée d’euros, quelques vêtements et une vieille paire de chaussures de football.
Une entrée difficile dans le football professionnel
Son premier contact avec le manager Jack Charlton est rude : après une première mi-temps décevante lors d’un match d’essai, il est renvoyé sur-le-champ avec des mots durs. Johnston se souvient : « Il m’a dit que j’étais le pire joueur qu’il ait jamais vu. » Mais cette humiliation lui donne la force de s’entraîner six à sept heures par jour dans le parking du club, tout en nettoyant les voitures et chaussures des joueurs.
Après 18 mois, un nouveau coach, John Neal, remarque son travail acharné. Faute de joueurs disponibles, il intègre le jeune Australien dans l’équipe réserve. Johnston marque rapidement, ce qui accélère sa montée : il débute en équipe première à l’âge de 17 ans.
L’ascension à Liverpool et l’âge d’or
En 1981, les performances de Johnston attirent l’attention de Nottingham Forest et Liverpool. Malgré les insistance de Brian Clough, il choisit Liverpool sur les conseils de son père. Le club de Merseyside débourse alors 650 000 € pour s’attacher ses services, un record à l’époque.
À Anfield, il devient un élément clé de l’équipe, évoluant au cœur d’une période faste où Liverpool décroche onze titres de champion et quatre Coupes d’Europe entre 1973 et 1990. Joueur charismatique au style distinctif, il est très apprécié par les supporters et ses coéquipiers.
Moments forts et premiers pas dans la musique
Son souvenir le plus marquant reste la consécration de 1986, avec un doublé championnat-Coupe d’Angleterre sous la direction de Kenny Dalglish. Johnston inscrit notamment un but contre Everton en finale de la FA Cup, réalisant ainsi son rêve d’enfant.
En 1988, lors de la finale de la FA Cup, il coécrit l’« Anfield Rap », l’hymne officiel de Liverpool pour le match contre Wimbledon. Ce titre inattendu, célébrant la diversité du vestiaire, atteint la 3e place des charts britanniques. Johnston avait déjà expérimenté en 1987, en fusionnant deux chants emblématiques des Reds enregistrés par Joe Fagin.
Une carrière écourtée par des drames familiaux
Malheureusement, à 26 ans, sa carrière professionnelle prend fin brutalement. Sa sœur cadette, Faye, est gravement blessée au cerveau à la suite d’une intoxication au Maroc. Johnston doit interrompre ses entraînements pour s’occuper d’elle, finançant même un avion privé pour la ramener à Londres, puis en Australie.
Face à cette tragédie familiale, il quitte Liverpool et le football pour rester aux côtés de sa famille. Aujourd’hui, Faye reste dans un état semi-conscient et Craig lui rend visite plusieurs fois par semaine.
De footballeur à inventeur emblématique
Après sa retraite, Johnston transforme sa passion pour le football et son sens de l’innovation en une carrière d’inventeur. Il conçoit la chaussure Predator, l’un des modèles les plus célèbres de l’histoire du sport, grâce à un concept de grip inspiré du tennis de table.
Après quatre ans et près de 210 000 € investis, il convainc Adidas, alors en difficulté, en leur montrant une vidéo où des joueurs comme Franz Beckenbauer testent la chaussure sous la neige. Le lancement en 1994 est modeste, mais la Predator devient un phénomène grâce au soutien de stars telles que David Beckham et Zinedine Zidane.
Projets, défis financiers et réinvention
Johnston crée ensuite The Pig, une chaussure à picots pour un meilleur contrôle, mais ce modèle ne voit jamais le jour commercialement. Parallèlement, il conçoit un jeu télévisé familial et un mini-bar d’hôtel innovant, ainsi qu’un programme d’évaluation des compétences pour enfants, SupaSkills, soutenu par la FIFA.
Malgré des investisseurs célèbres, dont Damon Albarn de Blur, son projet SupaSkills fait faillite, conduisant Johnston à la banqueroute au Royaume-Uni en 2004, un épisode difficile marqué par un passage à la rue et la rupture de son mariage.
Aujourd’hui père de quatre filles, Craig Johnston a retrouvé une certaine stabilité. Il consacre beaucoup de temps à la photographie tout en poursuivant ses inventions, notamment une nouvelle chaussure de football en préparation.
Retour émouvant à Liverpool
Après 20 ans d’absence, Craig Johnston est revenu à Liverpool juste avant Noël pour assister au match nul 2-2 contre Fulham. Une expérience chargée d’émotion à 12 000 kilomètres de son Australie natale, qui lui rappelle le chemin parcouru.
À 64 ans, il se décrit comme un homme « dur », façonné par une éducation rigoureuse. Il refuse d’être une victime et reste convaincu que pour chaque problème, il existe une solution. Plus qu’une légende du football, Craig Johnston incarne l’exemple d’une vie toujours en mouvement, entre résilience, créativité et passion.
















