Le Brésil traverse une période complexe depuis quinze ans, marquée par des déceptions récurrentes qui rendent difficile le souvenir d’une époque plus stable. Entre la défaite humiliante 7-1 contre l’Allemagne lors de la Coupe du Monde 2014 à domicile, la réintroduction controversée de Dunga comme sélectionneur ou les échecs cuisants en Copa America en 2015 et 2016, la Seleção a connu de nombreux revers. Sans oublier les tentatives infructueuses liées à l’entraîneur Carlo Ancelotti et d’autres défaillances au sein de la fédération, la situation semblait bien fragile.
Un début de parcours chaotique en qualification
En novembre 2023, dirigée par leur second entraîneur intérimaire de l’année, la sélection brésilienne a reçu l’Argentine à Rio de Janeiro pour un match de qualification à la Coupe du Monde. La défaite 1-0, bien que prévisible, a amplifié la crise. À l’issue des six premières journées, le Brésil pointait à la sixième place du groupe sud-américain, derrière des équipes comme le Venezuela ou l’Équateur, pourtant pénalisé au départ de la phase qualificative. L’élargissement de la Coupe du Monde accordant désormais six places directes à la CONMEBOL aurait dû rassurer, mais la menace d’échec était palpable.
Une situation stabilisée mais une inquiétude persistante
Seize mois plus tard, la situation a retrouvé un semblant d’équilibre. La victoire laborieuse contre la Colombie la semaine dernière a permis au Brésil de grimper à la troisième place, avec un avantage de huit points sur la septième position, synonyme de barrage intercontinental. La qualification pour le Mondial 2026 semble désormais assurée, mais les motifs d’optimisme sont limités.
Les performances sont loin d’être flamboyantes. La Copa America de l’été dernier avait révélé une Seleção lourde et peu inventive, un constat confirmé lors des derniers matches. Des éclairs individuels de talent, notamment de Vinicius Junior, ne suffisent pas à masquer les périodes où le Brésil semble anxieux et désordonné. Sa réalisation victorieuse contre la Colombie, un tir dévié venu de loin, témoignait davantage du courage et de la chance que d’un plan collectif solide. « J’espère que ça débloquera quelque chose », a confié Vinicius Jr après la rencontre.
Le défi tactique de Dorival Junior
Arrivé en janvier 2024, Dorival Junior est perçu comme un pompier capable d’éviter une crise imminente. Sur ce point, sa mission est accomplie : la Seleção est mathématiquement sûre d’aller au Mondial. Reste à savoir s’il a la capacité tactique de transformer cette équipe en une formation compétitive sur le long terme. Ses choix laissent encore sceptiques.
Il souhaite que ses attaquants vedettes – Rodrygo, Vinicius Jr, Raphinha – jouent avec liberté, mais un cadre plus rigoureux est nécessaire face aux défenses bien organisées. Son schéma tactique expose parfois les milieux de terrain et sa capacité d’adaptation en cours de match semble limitée. Après le match contre la Colombie, il a déclaré : « Parfois, il est difficile de faire passer clairement son message », ce qui en dit long.
Sa déclaration sur une « amélioration considérable à chaque match » a provoqué la dérision dans la presse brésilienne. Jessica Cescon de GloboEsporte a ironisé : « Il faut une loupe pour voir des progrès », tandis que l’ancien attaquant Tostao a réclamé « un souffle d’originalité ». La comparaison avec l’Argentine, adversaire du prochain match, est d’autant plus douloureuse.
Argentine – Brésil : un gouffre dans tous les domaines
En termes de palmarès, l’Argentine a largement pris le dessus récemment. Championne du Monde en 2022, un titre que le Brésil n’a plus conquis depuis plus de vingt ans, la sélection albiceleste domine également les deux dernières éditions de la Copa America. Malgré le triomphe brésilien en 2019, la dynamique est clairement argentine depuis six ans.
Cette période de suprématie argentine s’explique notamment par une gestion inspirée. Lionel Scaloni, sélectionneur depuis 2018, a su filtrer les tensions politiques et les conflits internes pour bâtir une équipe soudée, stable et très compétitive. Même en l’absence de Lionel Messi, l’Argentine conserve une cohérence tactique et une connaissance mutuelle entre joueurs que le Brésil peine encore à atteindre. Comme l’a indiqué Marquinhos, « les joueurs brésiliens apprennent encore à se connaître », tandis que leurs homologues argentins semblent unis et aguerris.
Le rapport équipe-supporters : un autre fossé
Sur le plan populaire, les scènes de liesse observées en Argentine après leur sacre mondial restent inoubliables : des foules en délire dans les places publiques, des chants, des pleurs et une communion profonde entre le public et ses héros. Ce lien fort, fait d’identification et de fierté, nourrit la ferveur nationale.
Au Brésil, la situation est bien différente. L’indifférence et le désintérêt prédominent autour de l’équipe nationale actuelle. Fait notable, cette absence de grande contestation publique contraste avec l’apathie ressentie, suggérant un certain détachement. Ce phénomène n’est pas nouveau : depuis des années, la presse et les experts brésiliens déplorent la faible connexion entre la Seleção et son public. Les joueurs eux-mêmes reconnaissent cette déperdition d’enthousiasme, qui semble impossible à quantifier mais bien réelle.
Plusieurs raisons expliquent ce malaise : de nombreux joueurs évoluent désormais exclusivement à l’étranger, sans passer longtemps par le championnat national et sans nouer de véritables liens avec les supporters locaux. La multiplication des matchs amicaux à l’étranger est aussi pointée du doigt, privilégiant les revenus financiers aux rapprochements populaires. Enfin, les critiques sur l’égoïsme supposé des joueurs, plus attachés à leur salaire et à leur club qu’à la sélection, sont largement tempérées par leur disponibilité constante malgré les critiques et les attentes immenses.
Un avenir incertain vers le Mondial 2026
Face à cet ensemble de problématiques, la solution ne semble pas simple ni immédiate. La meilleure voie pour restaurer la confiance et l’enthousiasme serait naturellement les succès sportifs, un cercle vertueux vécu par l’Argentine avec l’émergence de l’ère Scaloni. Le passage à Buenos Aires pour affronter l’Argentine, dans un stade rempli d’une passion indéfectible, rappelle au Brésil le chemin à parcourir pour sortir de cette période trouble. Réussir à capturer la magie et l’efficacité argentines ne sera pas une mince affaire.










